Dans « management de l’innovation », il y a tout d’abord « management ».

Notre réflexion démarre donc avec les conditions nécessaires pour un management de gouvernance, d’engagement et de motivation, sans lesquelles l’innovation a peu de chance de bien se développer dans l’entreprise.

 

La motivation : contexte historique et évolution

“Toute liberté s’exerce dans un cadre”. C’est ce que nous nous efforçons d’apprendre à nos adolescents et c’est aussi un grand principe d’architecture système. (Rappel : L’architecture système est un bon moyen de gérer la complexité)

Dans les entreprises, c’est le rôle du management de fixer ce cadre et de le faire évoluer si besoin. Dans le meilleur des cas, ce cadre est défini par des valeurs qui sont véritablement vécues et mises en œuvre au sein de l’entreprise.

Après les 30 glorieuses pendant lesquelles nous avons reconstruit le pays avec encore un sens fort de reconstruction nationale et un esprit d’entrepreneur, nous sommes entrés dans les “30 Formateuses”, qui de 1975 à 2005 n’ont eu de cesse de contraindre le cadre de façon significative. Au nom de la sécurisation des résultats pour les actionnaires, de la constante qualité du produit, nous avons mis en place dans nos entreprises beaucoup trop de process castrateurs (ISO, SARBOX, …) qui ont bridé les initiatives personnelles et entrepreneuriales.

En résultat, Gallup a mesuré dès 2013 une démotivation profonde des employés qui observe en moyenne sur 150 pays que :

  • 13% seulement des employés se déclarent “fortement motivés”
  • … contre 24 % se déclarant fortement démotivés
  • et les 63% restant qui s’en fichent plus ou moins et qui viennent au travail pour gagner leur croûte. (le ventre mou)

D’après le dernier rapport Gallup de 2017, le chiffre d’engagement continue de chuter et il ne serait plus que 10% d’engagés en Europe de l’Ouest aujourd’hui.

 

La Motivation et ses 4 prérequis:

Ces 4 prérequis pour toute motivation, que nous devons tous connaître par cœur, sont frappés au coin du bon sens :

  1. le sens,
  2. l’autonomie,
  3. la compétence
  4. … et le 4ème, s’exprimant par la négative, “pas de sentiment d’injustice”.

Vous vous apercevrez facilement, par un rapide sondage, que la connaissance de cette science psychologique démontrée par de multiples expériences (voir le fameux TED talk de Dan PINK) n’est pas forcément bien partagée au sein des managers de votre entreprise. En effet, trop de personnes répondent encore que pour arriver à motiver les gens il suffit de savoir manipuler “la carotte et le bâton”. Il faut bien leur rappeler que ceci marche parfois pour les ânes mais pas tellement pour les humains…

Plus en détails :

  • le sens : Redonner du sens en expliquant la mission de votre entreprise et ce qu’elle veut apporter au marché et aux êtres humains.  Rappelons aussi qu’une entreprise est avant tout un regroupement d’êtres humains qui partent ensemble dans une aventure dans laquelle ils jouent leur survie économique. Cette survie passe le plus souvent par une autonomie financière et donc par des profits et des résultats.
  • l’autonomie : Quand vous aurez bien compris qu’elle est indispensable à la motivation, vous redonnerez des degrés de liberté, après avoir bien planté le cadre dans lequel cette liberté peut s’exercer. Après 30 ans de formatage, vous devrez bien sûr rééduquer vos employés à l’autonomie, en rappelant que celle-ci doit être responsable. Vous devez donc promouvoir des comportements responsables qui sont en ligne avec la mission de votre entreprise et ses valeurs.
  • la compétence : il est évident que sans la compétence, je suis incapable de faire malgré toute ma bonne volonté ce que mon job demande. Dans un monde qui change très rapidement, j’ai peur d’être laissé-pour-compte notamment peut-être parce que je me sens inférieur sur tous les nouveaux outils et méthodes. Mais il faut désormais considérer à la fois les compétences métiers (savoir-faire) et les méthodes de travail (capacités comportementales). Quand on parle de la digitalisation ou de la transformation digitale des entreprises, il faut plutôt penser à la capacité de l’entreprise et de ses collaborateurs à collaborer dans un nouveau cadre d’échanges beaucoup plus ouvert, y compris en interne, où le mode projet et la collaboration transversale deviennent la norme … plutôt que de regarder seulement cela en capacité de déployer de nouveau outils digitaux et/ou de dématérialiser.
  • “pas de perception d’injustice” : Pour répondre aux besoins de reconnaissance juste de chacun, il y a de la part du management un effort de transparence et de vérité à faire, et il faut toiletter tous les vieux fonctionnements qui ont la vie dure et qui sont contre-productifs car ils génèrent ce sentiment d’injustice de façon quasi automatique

Essayons de promouvoir de nouvelles attitudes managériales :

Dans une société de la transparence et du partage du savoir, le manager doit  remettre en cause certaines des pratiques héritées du 20e siècle. (exemple: information = pouvoir ; contrôle plutôt que confiance ; la position hiérarchique détermine la responsabilité, etc.)

Ayant rappelé ces fondamentaux en matière de management, revenons à notre sujet de l’open innovation et comment accélérer l’innovation dans les entreprises issues du 20e siècle.

 

Le contexte 2017

Nous avons voulu prendre un peu de recul après la vague “Open Innovation” qui a conquis la plupart des organisations, pour mesurer après 7 ans, le ressenti et le retour d’expérience et enfin arriver à dégager des pistes sur ce qui pourrait marcher par transposition et aussi sur ce qui ne marche pas du tout.

Enquête du Think Tank Open Innovation InnoCherche auprès de 44 entreprises :

Des veilleurs d’InnoCherche ont pris leur bâton de pèlerin à la rencontre de directeurs innovation et autres cadres dirigeants de grandes entreprises, pour comprendre leur pratique de l’open innovation, les résultats obtenus et recueillir leur expérience.

Il en ressort qu’ils indiquent avoir mis en place les principes de l’open innovation, avec des degrés de maturité variables, et que :

  • ils apprécient le potentiel de réduction des délais de mise sur le marché et le caractère plus économique vs la démarche d’innovation “traditionnelle”
  • mais ils ont bien souvent du mal à en établir l’efficacité business et à en obtenir des réalisations concrètes de façon répétée

Bref, on sent un essoufflement faisant suite à l’enthousiasme initial et la question devient “et maintenant ..?”

Travail entre les start-up et les grands groupes

De leur côté les start-up sont souvent désabusées par leurs expériences de collaboration avec les grands groupes surtout en ce qui concerne:

  • l’absence fréquente d’industrialisation à la suite de POC pourtant considérés comme réussis
  • … et aussi les délais de décision beaucoup trop lents

On constatait, il y a un an, un fort écart de perception, entre ce que les grands groupes croyaient réussir à faire avec les start-up et le jugement des start-up elles-mêmes sur la relation avec les Grands Groupes. Suite à quelques push-back des start-up, certains groupes ont compris et mis en place des solutions qui peuvent être intéressantes.

 

Objectifs de notre réflexion InnoCherche :

InnoCherche, qui est un réseau de veille innovation, veut aider les dirigeants à anticiper les disruptions à venir, et à passer à l’action. Pour cela nous organisons une veille permanente, notamment au cours de 8 à 10 voyages annuels qui nous emmènent aux quatre coins du monde mais aussi à Paris. Nous nous focalisons sur les usages, avec :

  • d’une part une dimension “la tête dans les étoiles” où l’on regarde les nouveaux concepts et nouveaux buzzwords
  • et d’autre part “les pieds dans la glaise” pour observer des retours d’expérience terrain en matière de Management en général et de management de l’innovation en particulier.

A ce stade de nos observations nous faisons le point et une mise à jour de notre propos. Avec la volonté réaffirmée de conduire au passage à l’action la plupart des entreprises que nous accompagnons.

1ère partie : la liste des fausses pistes

2ème partie : zoom sur quelques expériences prometteuses et qui peuvent éventuellement être transposées suivant la situation de chaque entreprise.

Dès à présent énonçons une conclusion évidente : il n’y a pas de recette miracle ; il ne suffit pas de faire ceci ou cela, déployer tel ou tel moyen en terme d’organisation pour y arriver. Il faut trouver ce qui correspond vraiment à l’ADN de votre entreprise et à ses problématiques spécifiques actuelles.

 

Les fausses pistes

  1. planquer le bébé “Open Innovation” chez un membre du comex, sans véritable intention stratégique
  2. lancer des POC non scalables ; rester au niveau de la comm’ et de événementielle avec des POC vitrines
  3. raisonner exclusivement en termes de moyens et d’initiative, sans prendre en compte les changements d’attitude managériale pour reconnaître l’échec bien analysé comme une source de progrès
  4. travailler avec des start-up sans y être préparé
  5. faire une plateforme baby-foot
  6. confier l’innovation à la seule R&D
  7. gérer avec une direction de l’innovation isolée : enfermer l’innovation dans une structure  …

Au niveau du discours, on peut finalement continuer à parler d’excellence opérationnelle … mais avec une volonté d’accélérer les cycles. En effet, jusqu’à présent au sein d’InnoCherche, nous avions tendance à opposer:

  • les GAFA et leur style de Management centré sur l’innovation disruptive
  • la culture opérationnelle des entreprises du siècle dernier qui font bien de l’innovation incrémentale.

Mais si la comparaison avec les GAFA peut être intéressante parfois … elle est le plus souvent frustrante et sans rapport avec le vécu des entreprises traditionnelles. Définitivement les GAFA sont des “digital native” ce que les entreprises du siècle dernier ne seront jamais.

Il faut que les “Legacy Entreprises”, les entreprises du siècle dernier, capitalisent sur leurs forces, et l’une d’entre elles est l’excellence opérationnelle. Elles doivent chercher à renforcer ce savoir-faire par une accélération des cycles.

NB : Le legacy est certes souvent vu comme un boulet surtout (mais pas que) au niveau IT. Si on ne peut vraiment pas identifier des atouts au “legacy entreprise” autre que la génération de cash, en toute logique il faudrait directement recréer une nouvelle société à partir de rien en parallèle, à côté, pour le futur.

 

Pistes intéressantes (si elles peuvent être transposées avec votre ADN)

Toujours focaliser sur les usages et l’usager (son problème à résoudre),

comme en Silicon Valley où on voit des t-shirts annonçant que la start-up est “amoureuse du problème lié à l’usage”, ce que les gens font au quotidien … et non pas de la solution envisagée. Cette façon de procéder est indispensable si vous voulez progresser en management de l’innovation. Pour ce faire, une des bonnes pratiques qui devient monnaie courante dans quelques grands groupes comme Infosys ou IBM est de former tous les collaborateurs ou design thinking qui deviendra ainsi de-facto un langage commun entre les différentes entités de l’organisation pour résoudre les problèmes.

Donc face à une problématique, les étapes peuvent être :

  1. travailler sur les matrices d’empathie pour vraiment comprendre le problème du point de vue de l’utilisateur
  2. utiliser le design pour arriver à résoudre ses problèmes
  3. et trouver la solution idéale en se focalisant sur l’intersection des trois cercles du design thinking qui sont la désirabilité, la faisabilité technique et la viabilité économique
  4. tester et prouver la solution “idéale”.

 

Appliquer une approche “win-win responsable” aux relations partenaires en open innovation

Aucun partenariat ne peut réussir sans des bases saines.

Aux start-up, aux collaborateurs sollicités sur de l’entreprenariat, aux partenaires en général, il faut dès le départ promettre des bases saines :

  1. effort de connaissance réciproque (due diligence basique),  
  2. partage des objectifs respectifs,
  3. clarification des rôles,
  4. identification de contacts principaux,
  5. confrontation avec les obstacles majeurs (fail fast, cf ci-dessous)
  6. partage de la feuille de route globale,
  7. respects des timings et délais,
  8. mis en place d’un processus “fast track spécial start-up” avec les Achats

Détaillons-en maintenant quelques-uns.

 

“Fail fast” ou plutôt savoir comment et pourquoi on arrête rapidement un projet

Analysons les principes d’expérimentation rapide qui se cachent derrière “Fail Fast”, un concept parfois un peu effrayant pour les entreprises du siècle dernier. En effet, toute leur pratique du management est basée sur la reconnaissance de la performance collective et parfois individuelle, a priori opposée à la culture de l’échec.

Pour rester plus proche de la culture managériale des “Grandes Entreprises” il faut sans doute adopter un discours d’itérations d’excellence opérationnelle plus rapides, dans lesquelles l’apprentissage par l’expérimentation rapide et par l’analyse des échecs, est partie intégrante de l’innovation.  Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que c’est quelque chose qui se pratique couramment dans le domaine de la R&D ; lorsque vous demandez au directeur de la R&D ce qu’il a fait le mois dernier, il vous répondra honnêtement qu’il a exploré 40 solutions qui ne marchent pas et vous l’encouragez à continuer. Par contre lorsque vous posez la même question au directeur marketing en lui posant la même question, lui ne pourra pas avoir la même réponse car il reste arc-bouté sur la réussite de la marque et pour lui un échec demain sur le marché n’est pas envisageable.

Donc la question posée devient “comment casser les codes sans aller dans le mur?” ou comment faire de l’expérimentation rapide avec un fort taux de déchets et qui, en cas de succès, peut se “plugger”, s’industrialiser rapidement en se connectant dans les processus internes existants.

 

Comment casser les codes sans aller dans le mur ?

La bonne démarche consiste à discerner si possible en amont :

  • les codes hérités du passé qui peuvent potentiellement être cassés
  • de ceux qui doivent rester incontournables ; typiquement les 2-3 process représentant l’ADN de l’entreprise.

Nous avons pu voir un excellent exemple avec la KWID de Renault, voiture Ultra Low Cost vendue à 3600€ comme SUV compact, développée en Inde. Renault a su casser les codes sans aller dans le mur. La KWID est devenu un succès commercial prévue pour passer de 140 000 unités vendues en 2017 à un million de voitures en 2020 … avec sans doute la petite sœur, la KWID électrique, devant être commercialisée à partir de 2020 en Chine.

Comme Renault pour la Kwid, efforcez-vous de trouver les 2 macro process maison que l’entreprise doit absolument garder pour conserver son identité et sur lesquels des initiatives diverses viendront in-fine se plugger pour l’industrialiser. Le reste est négociable, challengeable.

Management de l'innovation - Les codes

Bannir les “POC vitrine” et déterminer préalablement les conditions de tout POC pour qu’il puisse être industrialisé en cas de succès

La culture du POC, le prototype ou Proof Of Concept en anglais, a peut-être été utile au début mais maintenant est devenue “un tue l’amour”. En effet, trop de POCs s’arrêtent au stade de belles vitrines et ne sont jamais industrialisés ce qui décrédibilise toute l’initiative d’Open Innovation et décourage aussi – jusqu’à les faire mourir – les start-up qui rêvaient de gros marché suite à la réussite du POC.

Comment éviter le “POC impasse” ? Voici quelques bonnes pratiques

  • Obligez tous les POCs à partir du problème, et non pas de la solution technique, en impliquant un sponsor qui a ce problème dans sa BU, son usine … et qui est ravi de supporter le coût d’exploration de solutions, dont il prévoit un bénéfice au niveau de son ROI (…évalué à la grosse et surtout pas via un business Plan détaillé)
  • Formez l’ensemble de vos équipes au design thinking, ce qui permettra en interne un dialogue ouvert sur le problème et la désirabilité des solutions, la faisabilité technique et la rentabilité éventuelle.  Cette formation au design thinking aidera aussi à mieux comprendre au-delà de l’expression de besoin, ce que le sponsor du projet a vraiment en tête.
  • Forcez le passage à l’action et l’expérimentation rapide avec des design sprints ou design doing.
  • Forcez-vous à explorer dès le début le scénario du succès et posez-vous la question “Comment cette solution une fois démontrée avec le succès du POC pourrait-elle être déployée rapidement dans l’entreprise, en respectant les process majeurs (à trouver et définir) – sans rêver de façon irréaliste de pouvoir les changer ?”.
  • Inspirez-vous des best practices managériales des VC qui cherchent toujours à identifier le talon d’Achille d’un projet pour concentrer efforts et argent sur celui-ci. En l’absence de solution viable, l’objectif est de tuer le plus rapidement possible le projet tout en sachant bien pourquoi on l’arrête (Fail Fast) … plutôt que de laisser comme souvent le projet vivoter à son rythme budgétaire annuel et encombrer le pipeline de R&D, alors qu’il aurait pu être abandonné beaucoup plus tôt. Apprenez à bien tuer les projets.
  • N’acceptez plus jamais le retour d’expérience d’un POC sans suite, qui explique seulement son échec avec l’excuse bidon “pas assez de management du changement”. Ou autrement dit : “mon idée était la bonne … mais ils n’ont pas voulu l’adopter!”.
  • Écrivez en gros sur tous vos murs “l’idée en elle-même ne vaut rien, … seule la capacité de la déployer vous apportera du business”. À lui seul ce changement de mentalité vous fera gagner beaucoup de temps en supprimant les discussions stériles  autour de qui est à l’origine de l’idée. C’est l’équipe de déploiement qui crée la richesse et qu’il faut surtout reconnaître.

 

Pour InnoCherche – 12 décembre 2017

 

Découvrez le résultat de l’enquête sur l’état de l’art en Open Innovation : http://bit.ly/2rmpGOm