Monsieur le DG, changez de pratique managériale…

Monsieur le DG, changez de pratique managériale ….

 Loin de moi l’idée d’augmenter les frictions… mais plutôt de pousser un coup de gueule auprès des dirigeants des grandes boîtes pour qu’ils se lancent dans une grande remise en cause de leur pratique managériale … pour enfin partir du bon pied en matière d’innovation dans ce Nouveau Monde qui ne demande qu’à être reconstruit. Ce sont les élites qui sont défaillantes et c’est d’abord à elles de se remettre en cause… car les grands groupes français sont les plus lents dans leur travail d’approche avec les start-up. Le dirigeant français, plus que nul autre, doit tout savoir et tout décortiquer avant d’expérimenter.

Pour les dirigeants à grandes responsabilités, il est grand temps de réfléchir à la pratique managériale pour s’adapter à la révolution numérique en cours et qui court si vite ! Il faut laconnaissance et l’analyse suivie d’une bonne synthèse, de ce qui peut marcher pour leur société en matière d’innovation. Alors ils pourront, en toute connaissance de cause, mettre leur société sur l’orbite de l’innovation et lui donner l’élan dont elle a besoin.

Les dirigeants doivent découvrir ce qu’ils ne savent pas

Au sein d’InnoCherche nous faisons une veille transverse sur les usages et les usagers pour aider les dirigeants à anticiper les disruptions à venir dans leur business model et dans leur mode de management. Après une perception intellectuelle du cerveau gauche, qui fonctionne en général bien chez eux, à la lecture d’article sur « l’uberisation » ou encore du livre sur « la disruption digitale expliquée aux directions générales », nous devons les amener à comprendre que le passage à l’acte nécessite toujours l’activation du cerveau droit typiquement par une émotion forte.  Donc nous leur conseillons vivement, plutôt que de rester au stade de  « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours », de faire l’effort d’aller en Californie ou dans les écosystèmes qui bougent vite, pour aller voir l’ours, pour comprendre à quelle vitesse il court en sentant son souffle chaud dans leur nuque alors qu’il galope pour essayer de manger leurplat de résistance.

Typiquement après cinq jours de veille transverse sur les usages, le DG ne revient pas indemne et comprend qu’il faut passer à l’acte… et rapidement dans un mode « Fail Fast ».

Mais ensuite, comment s’y prendre ?

Toute la gouvernance des grandes entreprises consiste à sécuriser du résultat dans un avenir légèrement incertain. Le DG a poussé, pendant les 30 dernières années, la mise en place de procédures, puis leur inscription dans ses outils (le fameux ERP) pour assurer ainsi la « compliance » dontil est l’ultime garant. Tous ces principes in-fine sclérosent sa boîte.

Le principe de management « Fail Fast » est érigé en dogme dans toute la « SiliconValley ». Il est bien expliqué dans l’ouvrage « Lean start-up » de Eric Ries. Ses principes commencent à être utilisés dans le « Corporate America » qui a davantage une culture de prise de risque … mais malheureusement très peu en France où nos dirigeants nous répondent souvent qu’ils ne sont pas payés pour « failer » ou « apprendre de leurs échecs » mais pour réussir et sortir des résultats. Regardez donc toute la littérature corporate où l’on étale à longueur de pages des succès et des réussites !

De même quand on dit à un DG qu’il doit abandonner la stratégie à ses patrons de business unit … pour se focaliser sur la vision, la plupart répondent qu’ils sont payés pour implémenter une stratégie.

Au-delà du débat sémantique entre stratégie et vision, ce changement d’approche est fondamental car, dans toute la culture des entreprises autour de la sécurisation des résultats, il y a en sous-jacent des principes de management enseignés dans les années 80 sur le principe de gestion en mode projet structuré, dans lequel on passe des portes ou « check point » pour accéder en mode séquentiel d’une étape à une autre (la fameuse méthode de « stage gate » de Cooper avec toutes ses variantes). Et le principe de base de cette méthode veut que la stratégie soit définie par une phrase simple, validée par le comité de pilotage – qui est souvent le Comex – et ne peut souffrir d’aucune modification sans un aval de celui-ci. Donc dans un monde d’expérimentation rapide, de pivot, ou autrement dit de « failfast », ce type de management est voué à l’échec car il faudrait réunir le Comex à chaque pivot dans la stratégie, soit toutes les semaines !

Donc pour ne pas tomber dans le travers de la « stupidity business » défini par Einstein comme « la capacité de continuer à faire la même chose en attendant ou espérant des résultats différents » … Il faut complétement changer de pratique et cela commence par une remise en cause des habitudes managériales du DG.

« Mr le DG, avec humilité, vous devez changer d’abord vos pratiques managériales » :

Monsieur le directeur général, parmi les compétences qui vous ont permis d’accéder à votre poste, il y en a la moitié que vous devez garder pour construire l’avenir de votre entreprise … mais l’autre moitié sont des « tue la confiance » qu’il faut absolument abandonner. Ce travail d’analyse suivi d’un travail de coaching approprié est l’étape nécessaire pour être capable de mener son entreprise sur le chemin de la disruption digitale. En effet la première condition sinequanone pour réussir sur ce chemin est d’ouvrir son entreprisepour être potentiellement capable de collecter l’intelligence de la multitude.

Parmi les compétences qui vous seront utiles demain, celles qui touchent à votre capacité de synthèse, à la gestion de la complexité avec une approche systémique construite autour de sept principes etc… sont primordiales.

En revanche, parmi les repoussoirs se trouvent les comportements hérités du management des 30 glorieuses où le top management, issu des grandes écoles et de la planification stratégique, était alors capable de savoir, mieux que les hommes de terrain, ce qui était bon pour le marché et donc pour l’entreprise. On peut aussi citer le principe de gouvernance quasi universel de délégation et contrôle : Oui je délègue à mes collaborateurs mais je suis in fine « accountable » donc au nom de ce principe je n’hésite pas à reprendre le contrôle, … en marchant si nécessaire sur le pied de mes collaborateurs et en détruisant la confiance …  en reprenant les rênes avant que le projet ne dérape. Cette méthode de management est à bannir car elle détruit la confiance qui est l’élément indispensable pour partir dans l’aventure de la disruption digitale.

Mais le principe d « accountability » fait partie intrinsèque de la gouvernance des entreprises avec  des marchés qui exigent des résultats trimestriels prévisibles … faute de quoi on demande le changement du DG. Devant cette impossible réconciliation, on en arrive presque à la conclusion que les sociétés cotées ne vont pas arriver à prendre ce virage faute de temps « moyen terme ».

Quelques retours d’expérience après cinq ans d’expérimentation dans la Silicon Valley 

Les spécialistes du design thinking de la Silicon Valley qui reçoivent depuis quatre ans des groupes issus du Corporatevoulant redéfinir leurs « business models », commencent à avoir les premiers retours d’expérience – REX. Après trois mois de design thinking, les jeunes talents intrapreneurs de l’entreprise retournent chez dans leurs sociétés pour mettre en place cette nouvelle stratégie avec l’aval de leur DG. Malheureusement, de l’aveu même des promoteurs de cette approche (Ideo, D-school de Stanford), le résultat après quelques mois est un taux d’échec de 90 %. La greffe ne prend pas du fait de l’action des anticorps, des globules blancs de l’écosystème de l’entreprise qui font leur travail de destruction sur ce corps étranger.

Donc il faut d’emblée prévenir la direction générale qui soutient ce genre d’expérimentation qu’elle doit d’abord mettre en place une structure adéquate pour accueillir le retour de cette jeune pousse en interne et lui donner la chance de grandir dans un espace propice où elle ne se fasse pas étouffer par les grands arbres des grandes business units.

Le plus souvent il s’agira de créer une structure autonome sous forme de filiale à 85 % de l’entreprise ayant une autonomie de gestion pour s’affranchir de certains principes de gouvernance qui empêchent la prise de risque.

Même s’il y a un accord explicite au changement, la meilleure approche consiste à faire venir un tiers de confiance, extérieur à l’entreprise, pour être à côté des pionniers intrapreneurs issus de l’entreprise et ayant vocation à y retourner. L’entrepreneurexterieur, qui n’a pasvocation à travailler au sein du grand groupe, sera là pour faire respecter les règles du jeu définies au départ et pour, au besoin, les rappeler à la technostructure. Il aura typiquement 5 à 10 % des parts dans cette filiale avec un pacte d’actionnaires bien ficelé.

Ceci consiste en quelque sorte à reconstruire l’équivalent d’un « bac à sable » qui permet d’être à l’abri des règles trop contraignantes comme cela se fait parfois aujourd’hui autour de petits projets IT. « voici 20K€, regarde ce que tu arrives à faire. Je t’affranchis des règles CORP mais fais attention ». La singularité de l’expérience est de grandir avec la pousse jusqu’à ce qu’elle atteigne une taille équivalente aux autres SBU de l’entreprise tout en restant à l’abri des anticorps.

Faute d’une telle organisation, le DG – gardien de la gouvernance – ne pourra pas, malgré sa bonne volonté, laisser le degré d’autonomie nécessaire à la jeune entreprise digne de ce nom qui représentera le futur de l’entreprise. En conséquence, les chances pour que son entreprise fasse partie des survivants de la révolution digitale diminuent, ce qui va créer pour ses collaborateurs des frictions supplémentaires qui elles-mêmes éloigneront encore davantage les perspectives de survie au déluge de changements provoqué par les innovations disruptives.

Bertrand Petit et le TT Management du futurd’Innocherche 1er Décembre 2015