Huawei peut, d’une certaine façon, être considérée comme une start-up étant donné qu’en moyenne elle fait plus de 30 % de croissance par an. Mais c’est une start-up de 180 000 salariés et de 75 milliards ce CA leader mondial en nombre de brevets déposés.

Avant d’arriver au campus de Huawei à Shenzhen, il faut franchir un espèce de Checkpoint Charlie pour passer de Hong Kong à Mainland China.  Côté Chine, à Shenzhen, on remarque tout de suite que la moitié des taxis sont bleus car ils sont électriques et l’autre moitié sont rouges car ils sont polluants et vous devez payer un peu plus lorsque vous les utilisez. Tous les bus électriques BYD  sont à recharge par induction aux feux rouges. Les scooters sont tous électriques ce qui donne une forte impression de silence, la municipalité ayant décidé de durcir la réglementation sur l’usage du klaxon intempestif. Bienvenue à la Mecque de l’innovation hardware où ce qui se fait ici en une semaine se fait en un mois ailleurs !

Après 45 minutes de bus depuis le centre de Shenzhen, on franchit un portail pour entrer dans un gigantesque parc qui vous fait presque penser à Versailles,  parc magnifique, des lacs… C’est en fait un campus de 45 000 personnes regroupant des laboratoires R&D, une Université Huawei, des hôtels trois, quatre ou cinq étoiles pour les visiteurs et de l’habitat pour les employés de passage.

Huawei a été créé 1987 par Ren  Zhengfei. Il a aujourd’hui 74 ans et c’est un peu  le Steve Jobs Chinois visionnaire.

Huawei fournit toute l’infrastructure nécessaire à Internet et à la téléphonie. Il réalise 50 % de son CA avec les opérateurs télécom, 10 % avec les entreprises pour leur intranet et 40 % avec le grand public pour les téléphones Huawei. 50 % du CA est à l’étranger .

Huawei est aujourd’hui de leader incontestable de l’innovation dans les télécoms et l’ Internet en particulier avec 5G. La mission de Huawei est de construire un monde connecté et intelligent grâce à une infrastructure IT y compris fibre, wifi et 5g et à l’intelligence artificielle.

S’occupant de Hardware, Huawei s’appuie sur un réseau de partenaires qui vont vendre le service autour notamment pour tous les projets d’intégration. Un partage des rôles très clair est fondamental dans la stratégie de Huawei qui ne peut pas se permettre de by-passer un de ses partenaires devrai te de voir tomber tout l’écosystème. (Un affichage stratégique des rôles entre ceux qui font du hardware et ceux qui font le service autour est très important pour la réussite de la stratégiecomme nous l’avons vu aussi dans le cas de décathlon)

Comment Huawei en est arrivé à sa position de leadership ?

En 1990 la Chine était très en retard en téléphonie mobile. En gros il n’y avait rien, les grands fournisseurs d’infrastructures de télécommunication mobile étaient Ericsson et Motorola et, du côté des routeurs, il y avait Cisco. En 2012 Huawei a dépassé Ericsson. Aujourd’hui c’est le leader incontesté de la 5G…

Ce succès s’explique à la fois par la vision du fondateur et par la gouvernance de l’entreprise. Ren ZENGFEI  est un visionnaire ambitieux. Les piliers de sa stratégie sont une gouvernance originale, la R&D et la “compagnie culture” qu’il explique dans ses livres tout à fait clairs.

Pour ce qui est de la gouvernance, on peut citer plusieurs points originaux :

  • Sur les 180 000 salariés, 80 000 d’entre eux, tous chinois, sont actionnaires de Huawei et détiennent 98,6%  du capital. Ren Zengfei ne détient plus lui-même que 1,4%. L’employé méritant se voit offrir, après quelques années, l’opportunité de mettre l’équivalent de 2 ans de salaire dans des actions Huawei qui certes rapportent un bon dividende de l’ordre de 20%. En tant qu’employé actionnaire c’est lui qui, tous les 4 ans, élit le grand président et tout le comité de surveillance. En conséquence Huawei n’est pas soumis au dictats  court termistes des investisseurs extérieurs puisqu’il n’y en a pas.
  • La planification est faite à 10 ans et seul le long terme compte. Pour son fondateur “l’opportunisme est l’ennemi de l’innovation !”
  • Chez Huawei il n’y a pas un CEO il y en a trois  qui assurent une direction générale tournante tous les 6 mois. Pendant sa mandature, le CEO continue d’assurer sa fonction habituelle, en général technique, mais en plus s’occupe de la gestion, de la communication et des situations de crise. D’où sort cette idée originale de gouvernance ?. Du monde animal dont Ren Zengfei aime s’inspirer. Il observe que, dans le troupeau de buffle où il y a un leader, si le troupeau est attaqué et que le Leader meurt c’est le chaos complet et le troupeau est en grand danger. Par contre, chez les oiseaux migrateurs, les oiseaux se relaient en tête du vol dans la formation en V. Chacun est capable de maintenir le cap à tour de rôle.

La vision s’appuie sur une R&D forte

45 % des effectifs sont à la R&D ce qui est colossal. Chez Huawei, c’est la R&D qui a le pouvoir, pas le business. Ça se voit de multiples façons :

  • Une reconnaissance visible: un directeur de R&D n’a pas le droit de voyager Economie. Il est un “fellow” et doit voyager en business pour témoigner du prestige dont jouit la R&D au sein de Huawei … même si son patron de BU lui voyage en Économie
  • En terme de reconnaissance financière, la très grande majorité des employés de R&D font partie des 81 000 employés actionnaires. Ils obtiennent la part du lion dans l’attribution des stock options … qui reste cependant assez opaque,
  • “Build the R&D center where the talent is” ! Pour attirer les talents et les laisser complètement se focaliser sur leur R&D, Huawei n’hésite pas à ouvrir un centre là où le talent habite. Ainsi en 2007 Renato Lombardi a été embauché en venant de Siemens Milan. Huawei a tout de suite fait construire un nouveau centre de R&D à Milan pour que l’équipe de Renato, experte sur les sujets micro-ondes, n’hésite pas à suivre. Dans de telles conditions, l’équipe, a, bien sûr, suivi le maître.
  • Résultat, Huawei est, en 2017, l’entreprise qui a déposé le plus de brevets au monde.

La culture d’entreprise

Pour son fondateur, la culture d’entreprise est l’arme la plus puissante, l’arme stratégique ultime. Ren Zengfei estime que Huawei est dans un combat permanent pour la survie. Donc l’ambiance est plus “sport extrême” que “Club Med”.  

Il y a 2 niveaux de culture d’entreprise :

  • A la surface, des valeurs exprimées de manière forte, la plus fondamentale d’entre elles étant “customer first” ce qui pourrait paraître d’une banalité extrême si elle n’était vécue de façon très incarnée et réelle comme le relate cette histoire.  Huawei devait déployer une infrastructure pour une société de Télécom dans une région pauvre d’Afrique. Quelques mois après la livraison l’installation ne fonctionnait plus à cause des rats qui mangeaient les câbles. N’importe quel fournisseur aurait expliqué à son client que ce n’était pas de sa responsabilité . Huawei, lui, a considéré que c’était aussi son problème et s’est mis en tête de développer des câbles résistant aux morsures de rats. Cette extrême implication est, bien sûr, très fortement appréciée des client qui en parlent autour d’eux ce qui a permis à Huawei de se faire une réputation unique et de battre la concurrence dans les appels d’offres où vivent des rats.
  • Sous la surface il y a la culture du “wolf pack”, de la chasse en meute. On travaille ensemble et on travaille dur en persévérant dans l’adversité, on aime se battre et être fier de la réussite.

Pour réussir chez Huawei il faut aussi avoir le “power to think”. Il faut être curieux, lire en dehors de son domaine d’expertise, partager. Il faut avoir une perspective globale et une pensée globale pour cela la mobilité et l’expérience globale sont des clés de la rémunération. “If you have never seen the world how can you have a worldview ?”. Dans cette optique, les grands “Fellows” – les experts techniques – prêtent en quelque sorte allégeance à l’entreprise en lui faisant cadeau de leurs heures supplémentaires et de leurs vacances… A la fin de cette initiation managériale de haut niveau, le nouvel ingénieur est adoubé par ses paires et se voit offrir  un oreiller et un matelas à laisser au bureau et à utiliser lors des charrettes sur les projets.Donc, si on veut avoir une vie exaltante d’ingénieur et si on est prêt à faire des sacrifices, Huawei (… comme d’autres start-up de la Silicon Valley !) peut être un bon choix. Ingénieur brillant mais dilletant ,  s’abstenir.

 

Pour InnoCherche – Septembre 2018