Rachat du Club Med par Fosun International, rachat de Louvre Hotels Group (campanile, kyriad, etc.) par JinJiang International, également

actionnaire à hauteur de 12,32 % dans Accor Group. Prise de participation à hauteur de 30% dans GDF-Suez (Engie), par China Investment Corporation, 14% dans PSA Group par le constructeur Dongfeng… La liste des entreprises chinoises au capital de sociétés françaises est déjà longue et continue de s’allonger.

Si vous travaillez pour certaines de ces sociétés, votre patron n’est pas chinois, mais votre actionnaire l’est.

 

Comment en est-on arrivé là ?

En 1976, année de la mort du Chairman Mao, la Chine est non seulement à genoux économiquement, mais également culturellement. Aujourd’hui, la Chine est la deuxième puissance économique mondiale et sur une pente ascendante forte !

Voici les dates des changements politiques majeurs:

  • La “lost generation ” : les enfants de la révolution culturelle nés entre 1940 et 1960i travaillent encore, pour la plupart, dans des SOE (State Owned Entreprises) … le gouvernement chinois essaie aujourd’hui de les ré-éduquer pour qu’ils se comportent mieux en société … notamment pendant les JO,
  • Ensuite arrive la première génération des entrepreneurs chinois (la génération Deng Xiaoping), travailleurs entrepreneurs,
  • puis enfin la génération “90+” des enfants nés après le début des années 90,  éduqués à l’occidentale, souvent à l’étranger et qui reviennent en Chine…

Ce sont eux qui comprennent les codes des deux mondes, savent entreprendre et bousculer les choses. Ce sont les 90+ qui ont le pouvoir d’achat et sont les influenceurs de toutes les grandes marques mondiales dans leur design … eux qui ont compris que dans le monde global d’aujourd’hui, leur goût chinois est transposables aux goûts occidentaux et que, ayant en Chine le pouvoir d’achat, ce sont les chinois qu’ils faut servir en premier.

Ils ont appris à rester à leur place vis à vis du pouvoir central et à respecter la ligne jaune gouvernementale en terme de liberté d’expression. On apprend par les journaux que tel dirigeant un peu dissident a disparu quelques semaines … avant de revenir recadré par un séjour à l’université d’état.

Comment les chinois en sont-ils arrivés à cette dominance mondiale … en innovation ? (cf Huawei, WeChat, BYD, ALibaba …)

“Copier, … c’est un art !” A la fin des années 70, les chinois ont dû, comme des enfants, retourner à l’école. Mais, dans la mesure où aucun pays n’avait la recette pour sortir 900 millions de personnes de la pauvreté, et pragmatisme oblige, les chinois ont fait venir l’école à eux : ils ont fait venir en Chine, comme formateurs, les investisseurs étrangers qui ont fait passer le savoir. Et, comme les enfants, les chinois ont ainsi appris puis copiés et recopiés.

Ils se sont assurés de la qualité de l’enseignement en imposant des barrières fortes aux investisseurs étrangers : Montant d’investissement minimum, obligation de s’installer avec un associé chinois pour les industries stratégiques, transfert de technologie, impossibilité de rapatrier les profits etc.

Toute cette période a permis de financer la construction des infrastructures, de nourrir les travailleurs… tout en “apprenant”, triple bénéfice.

De plus, l’infrastructure du pays a été conçue de façon merveilleusement coordonnée et planifiée, en donnant parcimonieusement et de manière sélective la liberté d’entreprendre dans des zones franches comme pour la première fois à Shenzhen petit port de pêche en 1979.

Culturellement nous sommes différents :

  • Les chinois aiment le travail. Ce sont des commerçants dans l’âme. Ils ne sont pas occidentaux, ils n’aiment pas les conflits ni la guerre. Ils aiment la paix, car cette dernière est bonne pour le commerce.
  • Les français prisent la liberté, tout le temps et à tout prix dans une vision parfois idéaliste remontant aux siècle des lumières.

Nos amis Chinois nous font remarquer gentiment que même si nous avons eu notre heure de gloire au siècle des lumières avec des penseurs remarquables, nous avons réussi, en Europe, à déclencher deux guerres mondiales au 20ème siècle …

Les chinois eux, comme commerçants, veulent du business. Et même si aujourd’hui ils ont peu de liberté d’expression, tant qu’ils ont la liberté d’entreprendre et de s’enrichir, ils ont l’essentiel.

il y a plusieurs formes de liberté :

  • La liberté de mouvement qui repose sur une bonne sécurité. Les chinois parlent de nos récents attentats en disant que nous ne sommes pas très efficaces sur cet aspect sécurité,
  • La liberté d’entreprendre, vue par les chinois comme mise à mal par notre carcan administratif,
  • La liberté de pensée et de pratique religieuse… qu’ils acquièrent progressivement
  • et enfin la liberté de parole où là en effet nous sommes les champions du monde et où le chinois, lui, préfère se taire quand il sent qu’il dépasse la ligne jaune fixée par le gouvernement et accepte en plus d’être surveillé et noté !

A titre d’exemple sur ce dernier point, parlons du programme Sésame de “credit scoring” qui pénètre aujourd’hui dans la vie quotidienne des chinois. Imaginez la France accepter de vivre dans le monde décrit dans la série Black Mirror (Saison3, Episode1), monde dans lequel nous nous noterions les uns les autres et aurions un accès aux produits et services dépendant de notre note générale Sésame. Les chinois acceptent pourtant ce système, qu’ils prennent comme un jeu et un moyen de se développer personnellement.

Mais revenons aux entreprises chinoises. Après avoir appris à copier, elles ont commencé à innover.

La première version n’est jamais la bonne. Comme le veut l’adage, « si vous attendez que votre produit soit parfait, c’est qu’il est déjà trop tard ». La première version permet toutefois de tester l’intérêt du marché et de lever suffisamment de fonds pour lancer une seconde version, plus proche de la demande.

Prenons l’exemple des vélos en libre-service (Free FLoating) que l’on retrouve sur les trottoirs de Paris, les OFO et autre Mobike, c’est exactement ce qui s’est passé.

La première version n’était pas solide, les cadenas fonctionnaient mal, les roues étaient à rayons et les câbles des freins trop visibles. La seconde version a rectifié ces problèmes et il est probable qu’une troisième version voit le jour dans les mois à venir proposant un service encore amélioré. Un vélo avec assistance électrique pourquoi pas ?

Auparavant, lorsqu’ils avaient besoin d’apprendre, les chinois piquaient la propriété intellectuelle des autres, mais maintenant qu’ils innovent, ils déposent des brevets et protègent leurs innovations par la propriété intellectuelle. Le droit a évolué en Chine, en même temps que les besoins du marché. Pragmatisme. 

Lors du forum de Davos en 2017, alors que le Président Trump prônait le protectionnisme avec son slogan “America First” le Président Xi Jinping, prônait, lui, le libre-échange et la défense de la propriété intellectuelle. Changement de cap rapide…

Illustré en 2018 lorsque les membres d’InnoCherche ont fait à Shenzhen du retro engineering en étudiant de près le concept innovant de Free Floating inventé par les chinois  !  Pas étonnant donc que les entreprises chinoises cherchent maintenant à se protéger des ingénieurs étrangers qui souhaiteraient les copier.

Depuis 5 ans le gouvernement chinois a demandé à toutes les entreprises grandes et petites de déposer des brevets. Ainsi, l’année dernière, la Chine a rattrapé les États-Unis en nombre de brevets déposés. Ils  appliquent aussi les principes américains pour les défendre avec des “contingency lawyers” qui font respecter les brevets chinois. Nous avons rencontré l’un d’entre eux qui travaille pour l’entrepreneur chinois qui a déposé le brevet du “selfie stick” déjà copié des milliers de fois. Il nous annonce qu’il a obtenu des accords de gré à gré avec plus de 2000 entreprises qui copiaient ce brevet utilisant à chaque fois la menace d’un procès facilement gagnable étant donné la nouvelle volonté politique chinoise en ce domaine.

En conclusion, même si nous n’aurons pas tous un patron chinois demain, les chinois ne seront plus seulement les fournisseurs de nos produits, ils seront aussi des innovateurs et, de plus en plus, ils seront nos actionnaires, nos partenaires et nos associés. (cf Golden rule nb 1)

A ceux qui craignent cette situation voyons plutôt le moindre mal : il peut parfois être préférable culturellement d’avoir un actionnaire chinois. Là où l’américain sera « profit first », le chinois dispose d’une vision long terme, pouvant même, tel un patriarche, s’inquiéter de la santé et du bien-être de chacun, avant le sien.

 

Homéric de Sarthe

 

Pour InnoCherche – Septembre 2018