Entreprise à mission … ou entreprise cotée : il faut choisir !
L’actualité autour de Danone nous amène à réfléchir sur la possibilité pour une entreprise cotée d’avoir un statut d’entreprise à mission et d’arriver ainsi à manager des 2 aspects à savoir les demandes de court terme du marché et la constante de temps plus long terme d’une mission, ou plus communément de valeurs RSE fortes.
Si on regarde où en étaient les choses à la fin du siècle dernier au temps du libéralisme triomphant avec Milton Friedman, Prix Nobel de Chicago en 1976. La pensée dominante encourageait de façon assez simple et efficace à l’époque, tous les acteurs à optimiser son petit pré carré, son bénéfice, son ROI … sans se soucier des effets collatéraux : « c’est la meilleure solution en laissant jouer partout les forces de marché de trouver l’optimum collectif » disait la doctrine. Le management et la gouvernance était simple et efficace car tout était mesurable en $ et il fallait juste aligner les intérêts de tout le monde sur ceux des actionnaires ce qui fut fait avec la généralisation des stock options elles même déclenchées sur des atteintes d’objectifs parfaitement mesurables.
La question d’actualité aujourd’hui : peut-on passer progressivement en restant coté, de ce mode de fonctionnement à un mode de fonctionnement où les grands groupes tempèrent ce libéralisme à outrance en affichant des ambitions RSE, voire une raison d’être avec mission et valeurs. Est-ce vraiment compatible avec le fait de rester une entreprise cotée ?
Rappel loi Pacte de 2020 qui introduit la qualité de société à mission permettant à une entreprise de déclarer sa raison d’être (1er étape) à travers plusieurs objectifs sociaux et environnementaux.
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N’est-ce pas un peu être trompeur que de dire vouloir respecter des engagements RSE, de mettre les 3 « P » au même niveau entre Profit Planète et People en prétendant optimiser en parallèle sur les trois?
L’épopée récente de Danone montre que in fine tout ceci n’est pas sur le même niveau. En effet, le « marché » compare les résultats de Danone avec ceux de Nestlé et en déduit que DANONE s’occupe trop de la planète et pas assez des actionnaires … déclenchant l’intérêt de fonds actifs, sentant l’opportunité – capables avec 1 voire 3% du flottant de renverser le DG et infléchir les engagements prise par l’ancienne direction.
D’un point de vue management, lorsque l’on fait cette transition, il faut arriver à passer des anciens objectifs « Smart » déclinés sur chaque activité, chaque individu, avec bonus et stock option à la clé. Ceci s’est avéré très efficace pour aligner les actions et intérêts de tous en arrivant à motiver tout le management sur le cours de bourse et rejoindre ainsi le souhait des actionnaires d’une plus value court terme. Il était alors facile de trouver les bons indicateurs de progrès.
Dans une entreprise à mission affichant des valeurs plus aussi facilement mesurables … on devra essayer de définir ce qui est « observable » pour voir si on est en chemin, en route dans cette mission; bref on doit mélanger des choux et des carottes alors que l’approche libérale de Friedman tout était mesurable en Dollars. Idéalement avec de tels indicateurs hybrides, on pourrait montrer aux actionnaires patients que l’on progresse et que au terme de ce chemin, lorsqu’on aboutira, on aura réalisé le cercle vertueux ou la mission sera aussi bonne pour le business que donc pour les actionnaires.
Certains ont essayé de mélanger les 2 on faisait des « balanced scorecard » ou des « total balance card » dans lequel on additionne des choux et des carottes pour montrer qu’il a fait des choses observables qui allait dans la bonne direction et des choses très quantifiables en euros et qui allait aussi dans la bonne direction et on mélange tout ça.
En termes de motivation, il faut que les valeurs personnelles de chacun soient en harmonie avec celle de l’entreprise.
Alors pourquoi est-ce un peu une tromperie ? On prétend pouvoir mettre les 3 « P » au même niveau … alors qu’in fine c’est le propriétaire, l’actionnaire et son DG nommé par lui qui décide de céder telle activité ou de fermer telle usine. … Malgré tout ce que le précédent DG a pu promettre. C’est là la réalité du marché !
Dit avec plus d’ironie, la question est de savoir à quelle température les belles valeurs affichées par le top management fondent ?
Au-delà du management, il y a une 3ème autorité qui commence à entrer en ligne de compte … celle des juges. Certains juges commencent à trouver recevable des plaintes d’association qui ne sont pas forcément actionnaires, qui montrent qu’il y a eu tromperie sur la marchandise, non-respect d’un engagement entre les valeurs affichées, la mission affichée et la réalité des faits à savoir les actions de l’entreprise en matière de RSE. Les exemples récents en cours concernent aussi bien
- La marque Auchan dans « ses usines » textiles … ou plutôt celles de ses sous-traitants au Bangladesh fait de facto recours au travail d’enfants dans des conditions dangereuses ce qui est contraire aux valeurs affichées devant ses clients
- Ou le gouvernement anglais qui voulaient ouvrir enfin après 30 ans de débat une 3e piste de décollage à Heathrow en disant que ce n’est pas compatible avec soi ma signature de la cop 21 pour le gouvernement anglais
Si l’on revient au capitalisme RSE compatible, il s’agit de pouvoir offrir à l’épargnant un investissement qui donne un sens à son épargne. Cette prétention a-t-elle encore un sens aujourd’ hui ?
Reprenons les 2 véhicules pour investir dans une entreprise qui sont soit les actions soit les obligations… avec 40 teintes de gris entre les deux ! Dans le premier cas l’actionnaire a un droit de regard sur le management et la stratégie puisqu’il vote à l’assemblée générale qui nomme les administrateurs et qui eux-mêmes nomme la direction générale. La nuance concernant les actions avec un petit flottant et dont l’entreprise est donc soi-disant contrôlée par un actionnaire de référence, l’histoire a mainte fois montré que ceci n’est pas forcément inscrit dans le long terme malgré les promesses du pacte d’actionnaire et que souvent, au bout d’une bagarre boursière et judiciaire plus ou moins longue, soit l’entreprise sort de la côte (M&A …) soit elle perd son contrôle et devient une entreprise OPÉAble ou attaquable par des fonds actifs. D’où la provocation du titre … soit tu es à mission …soit tu es coté !
Pour un capitalisme en quête de sens, il reste les obligations dont le rendement peut être dès aujourd’hui infiniment variable et par exemple basé 100% sur le véritable résultat économique de l’entreprise ; il est donc possible de proposer à l’investisseur une participation au résultat futurs de l’entreprise … sans participer à sa gouvernance et là une entreprise à mission qui a recours au marché obligataire peut être crédible dans ses intentions.
Il y a là des pistes que notre partenaire Melcion Chassagne et Cie explore et qui semble plus cohérente que de prétendre rester côté avec ajout d’une mission RSE … alors que l’on sait pertinemment, comme nous l’a rappelé récemment DANONE, qu’en cas de conflit, le P qui gagne est celui du profit. Il est étonnant qu’aussi peu d’entreprises saisissent l’opportunité des taux d’intérêt très bas pour sortir de la cote en levant des obligations.
Mais alors, à qui appartient l’entreprise et y a t il d’autres solutions que l’entreprise familiale en termes de transmission ? Ce sera le thème d’un prochain papier.
PS actualité fin Mars: Dans sa première intervention, le nouveau PDG Gilles Schnepp a confirmé la mission de Danone qui est inscrite dans ses statuts. Maintenant il appartient au Comité de Mission, dans son indépendance, de juger si les décisions stratégiques prises restent cohérentes avec cette mission. La loi en cas de désaccord prévoit juste que le Comité De Mission peut saisir le juge qui peut forcer Danone à enlever de son SIREN ce statut revendiqué d’entreprise à mission. Donc on est bien dans une dimension d’image et de communication vis-à-vis des salariés et des clients dans un monde très compétitif. Rappelons que dans le même temps, le concurrent Unilever, qui n’a pas ce statut d’entreprise à mission (… si ce n’est pour sa filiale Ben & Jerry’s qui a gardé depuis son rachat en 2000 son statut de BCorp) et affiche des résultats concrets avec notamment 60% de ses produits suivant les recommandations de la “positive nutritioning”. |
Pour InnoCherche – Mars 2020