Blockchain : des tas de soubresauts pour un passage de l’adolescence à l’âge adulte ?

De nombreux évènements se sont déroulés au cours des derniers mois dans le domaine des Fintechs mais je me concentrerai sur l’actualité récente au niveau des cryptomonnaies qui présente quelques signaux d’intérêt et d’adoption de la part de nouveaux acteurs.

Du côté des entreprises, le premier événement notable a été l’annonce en août 2020 par Michael Saylor, le CEO de MicroStrategy qui est une société d’édition de logiciels de Business Intelligence cotée au Nasdaq, d’un premier investissement de 250 millions de dollars de sa trésorerie en Bitcoin comme valeur de réserve primaire. 

Depuis, de nombreux autres achats ont été effectués et MicroStrategy détient à ce jour un peu plus de 100 000 Bitcoins, soit plus de 3 milliards de dollars au cours actuel, acheté à un prix moyen de 26080 dollars. Dans ce même laps de temps, l’action MicroStrategy a vu sa valeur augmenter de 423% ! Et MicroStrategy ne compte pas s’arrêter là puisque la société a déposé 2 documents financiers lui permettant de lever jusqu’à 1,5 Milliards de dollars supplémentaires pour acquérir d’autres Bitcoins.

Ce mouvement a été suivi par d’autres organisations parmi lesquelles on peut citer Square, l’entreprise de monnaie électronique de Jack Dorsey (cofondateur de Twitter) ou Massachusetts Mutual, une compagnie d’assurance américaine fondée en 1851 et bien entendu Tesla sur lequel je reviendrai. Pour référence, le site https://bitcointreasuries.net/ essaie de répertorier ces investissements et au cours actuel cela représente pratiquement 53 milliards de dollars (soit encore un modeste 2,5 % de la valorisation des bitcoins de 2000g€).

Pour revenir à Tesla, il y a sans doute derrière ce mouvement un jeu à plusieurs bandes de Elon Musk qui maîtrise parfaitement la manipulation de marché au travers de ses tweets ce qui lui vaut d’ailleurs depuis 2018 une obligation imposée par la SEC, le gendarme de la bourse américaine, de faire valider ses tweets par ses avocats lorsqu’ils concernent Tesla.

Pour résumer, Elon Musk a annoncé début février que Tesla avait acheté pour 1,5 milliards de dollars de Bitcoin et l’acceptation de celui-ci pour le paiement de ses véhicules ce qui a contribué à une envolée du cours à plus de $65,000, puis à la mi-mai dans un nouveau tweet il a annoncé que Tesla refuserait désormais les paiements en Bitcoins à cause du risque environnemental causé par le minage de la cryptomonnaies tant que l’énergie utilisée ne sera pas à 50% d’origine renouvelable, ramenant le cours a $31,000. Fait intéressant, en lisant le rapport trimestriel de Tesla on apprend que pour un profit de $438M, $101M de revenus proviennent de la vente de 10% des Bitcoins et $518M de la vente de crédits environnementaux à d’autres constructeurs… ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la vente de véhicules électriques.

Avant de poursuivre sur les autres signaux, je propose faire un aparté sur la consommation d’énergie des cryptomonnaies et sur le minage qui sont souvent abordés de façon imprécise dans la plupart des publications.

Pour resituer le contexte, la grande innovation des cryptomonnaies est de maintenir à jour un registre décentralisé public – contenant toutes les transactions depuis l’origine – sous forme de blocs qui fonctionne sans tiers de confiance. Si pour la lecture du registre,  l’absence de tiers de confiance ne pose pas de problème, il faut bien un mécanisme pour décider qui a le droit de miner le bloc courant ou en d’autres termes d’ajouter des lignes d’écriture toutes les 10 minutes . C’est ce que l’on nomme le mécanisme de preuve ou proof en anglais.

Dans le cas de bitcoin, le mécanisme utilisé est la preuve de travail ou Proof of Work qui s’apparente à du travail de force brute pour trouver une série de caractères à ajouter au bloc à valider qui donnera un hash (1) ou empreinte numérique du bloc inférieur à une valeur donnée appelée difficulté. Celle-ci est mise à jour toutes les deux semaines environ pour faire en sorte qu’un bloc soit ajouté à la blockchain en moyenne toutes les dix minutes. Ces tirs ou coup de pioche, d’où le terme minage, sont effectués par des ordinateurs spécialisés uniquement pour cette tâche, les ASICS qui travaillent en groupe. La consommation énergétique vient donc de ces machines dont la puissance est mesurée en TH/s et elle est actuellement de 104 M soit en approximation 8.64 GW d’après l’université de Cambridge ce qui représente 0,34% de la production d’électricité mondiale et 0,39% de la consommation. Le mineur qui gagne le challenge mathématique toutes les 10 min gagne un nombre déterminé de Bitcoin (6,25 jusqu’en 2024) pour son effort et notamment payer sa note d’électricité.  

La deuxième capitalisation en cryptomonnaies après le Bitcoin est  l’Ethereum, utilise aussi pour le moment la preuve de travail mais devrait migrer dans sa version 2 vers un mécanisme de preuve d’enjeu ou proof of stake. 

Dans ce système, le principe ressemble un peu à celui des fonds propres des banques où les détenteurs d’un crypto-actif peuvent mettre en séquestre tout ou partie de leurs fonds. Plus la quantité de fonds mise en séquestre est importante, plus la probabilité d’être choisi pour créer un bloc spécifique dans le futur via un algorithme géré par le protocole est grande. Le participant choisi va s’assurer de la légitimité des transactions qu’il souhaite pousser sur le réseau, les autres membres vérifient aussi la validité et si elle est correcte le soumissionnaire est récompensé en crypto-actifs sinon ses fonds sont confisqués d’où la notion d’enjeu. Dans ce contexte, la consommation énergétique est donc infime.

Pour simplifier et caricaturer, en prenant l’image de la Française des Jeux, le proof of work consisterait à remplir le plus de grilles de Loto possible pour jouer le maximum de combinaisons  et ainsi produite le meilleur Hash… alors que le Proof of Stake s’apparenterait plus à avoir la puissance financière permettant d’acheter le maximum de billets de loterie.

Ces remarques concernent les blockchains sans permissions (ou permissionless) appelées à tort publics dans de nombreux articles concernent des écosystèmes ou il n’y existe aucun Tiers de Confiance. Dans le cadre de nombreuses applications en entreprise, les solutions de blockchains choisies reposent sur des mécanismes avec preuve d’autorité entre acteurs qui se sont choisis et se font un minimum confiance, celle-ci n’excluant pas le contrôle. Rappelons ici qu’une Blockchain bien adaptée permet en théorie de faire l’économie de 50 % des frais administratifs et d’archivage car au lieu d’avoir deux entreprises qui stockent  toutes les deux leurs données sur leurs transactions, un seul stockage partagé dans une blockchain suffirait. 

Enfin, dans le monde de la finance traditionnelle, un récent sondage d’Intertrust auprès des 100 premiers hedge funds indique qu’ils prévoient d’avoir une allocation moyenne de 7% en cryptomonnaies dans les 5 ans à venir ce qui en faisant une projection, correspondrait à $312b.

Après les entreprises, passons aux banques centrales et aux régulateurs. En ce domaine, deux tendances se sont dégagées. Tout d’abord une sorte de capitulation des autorités qui ont visiblement compris que les cryptomonnaies n’étaient pas une mode passagère mais étaient bien là pour s’installer. A titre d’illustration des centaines de banques américaines offrent maintenant des services de conservation de crypto-actifs à leurs clients suite à l’autorisation de l’ U.S. Office of the Comptroller of the Currency (OCC)

Également lors d’un récent webinaire organisé par la représentation de la Banque de France à New-York, les échanges à l’ordre du jour n’étaient plus sur comment contenir les cryptomonnaies mais plutôt sur comment les réguler. Du chemin a été parcouru depuis la vidéo « N’y touchez pas » de 2018.

L’autre tendance forte est l’appropriation par les banques centrales de la notion de Monnaie Numérique de Banque Central ou CDBC puisqu’un sondage de la Bank of International Settlement pointe le fait que 80% des banques centrales ont un projet ou une étude sur le sujet.

Le phénomène est tel que The Economist a consacré un dossier spécial  en mai 2021 au sujet sous le titre de GovCoins et dans l’éditorial introductif pointe le risque pour les banques commerciales de disparaître à terme, si la logique était poussée au bout pour mettre directement tous les comptes bancaires avec leurs portefeuilles numériques à la banque centrale. Les banques centrales pourraient ainsi directement piloter leur politique monétaire de création de monnaie et de plan de relance avec des cryptomonnaies dédiées à des usages et potentiellement fongibles dans le temps. 

La grande puissance la plus avancée en ce domaine est la Chine qui est passée au stade du pilote sur une population de 500 000 habitants dans la région de Shenzhen. Si les effets escomptés sont pour le moment locaux avec la crainte de renforcement des mécanismes de surveillance des populations, il n’est pas inconcevable que cela puisse devenir à terme une monnaie utilisée dans les échanges internationaux pour donner au yuan un statut de monnaie globale.

 

Enfin, au niveau gouvernemental, le Salvador a récemment légiféré pour ajouter le Bitcoin, aux côtés du dollar jusqu’ici seule monnaie légale. La Banque Mondiale et le FMI n’ont pas tardé à réagir mettant dans la balance leurs aides futures à l’économie du pays… montrant ainsi leurs craintes par rapport à une alternative au Money Fiat notamment le dollar comme monnaie de réserve.

Les enjeux pour les États-Unis, principal bailleur de fonds des deux institutions, sont importants, 40% de la valeur des transactions du commerce mondiale sont libellées en dollars et 60% des réserves des banques centrales également.

 

Xavier CHARPENTIER et tous les membres du TT Fintech & Blockchain.
Juillet 2021

Mise à jour au 5 juillet 2021: Pour consulter des données sur l’adoption des monnaies numériques et les freins identifiés pour celle-ci sur les marchés B2C et B2B, The Economist Intelligence Unit a mis à jour son rapport Digimentality 2021.

(1) Une fonction de hachage cryptographique (SHA256 pour bitcoin) est ce que l’on appelle une fonction à sens unique, ce qui veut dire que pour un ensemble de données quelconque le calcul de la fonction de hachage est facile et rapide et donne un résultat unique tandis que le calcul de sa fonction inverse est impossible par calcul d’où la nécessité de procéder à des tirs. Par exemple: 67e9993a2b4301ec5da1ef1b18f700e7eb2f88c60399424360caf18f2947cdef correspond au SHA256 du mot InnoCherche, saurez-vous trouver à quoi correspond (en utilisant le site https://demoblockchain.org/hash) 9b4b653e0de2b28710dccac3c1f246cdde655af8848bdd5c2962e43fea18bfe4 (Indice : c’est une question de casse…)