Les stratégies complémentaires de Google sur le secteur de l’enseignement aux USA
A travers l’étude des différentes plateformes de MOOC dans le cadre du Think Tank Formation Continue lors du dernier trimestre, j’ai observé que le nom de Google apparaissait invariablement. Une stratégie globale m’est alors apparue.
Google a mis en œuvre deux stratégies complémentaires sur le secteur de l’enseignement aux USA :
- Une stratégie d’open innovation
- Une stratégie commerciale Océan bleu
Définition de la stratégie d’open innovation
Une stratégie d’open innovation peut consister en deux stratégies complémentaires :
- par une stratégie outside-in, l’organisation cherche à créer de la valeur supplémentaire en enrichissant à ses actifs avec des connaissances, des méthodes ou des technologies appartenant à des membres de son écosystème.
- par une stratégie inside-out, l’organisation cherche à créer de la valeur supplémentaire en permettant à des membres de son écosystème de mieux valoriser ses actifs.
Première stratégie d’open innovation mise en œuvre par Google : Khan Academy
Salman KHAN a commencé l’aventure en 2004 en donnant des cours particuliers à sa petite cousine de 12 ans par téléphone et par l’outil Doodle de YAHOO. A la suite de cette expérience fructueuse, il a donné des cours par Skype à des membres de plus en plus nombreux de sa famille. En 2007, il crée la chaîne YouTube de la Khan Academy. Sa renommée grandit : il donne alors des cours à 10 000 élèves par jour.
Salman Khan a cracké la user expérience de l’apprenant : (on reprend ici le prisme de veille InnoCherche avec les 10 attentes transverses du citoyen consommateur… et on regarde sur quels boutons ils ont appuyé).
Salman Khan est un individu entreprenant qui donne une valeur sociétale inestimable à YOUTUBE et donc à GOOGLE en faisant passer le monde de l’éducation en « Vidéo First ». En 2010, afin de consolider et de donner une dimension mondiale à cette initiative, GOOGLE exerce sa responsabilité sociétale (RSE) dans le cadre du Projet 10^100 en octroyant 2 millions de dollars à Salman Khan.
Les résultats sont impressionnants :
De 200 000 élèves uniques par mois en 2010, la Khan Academy atteint 6 millions élèves uniques par mois à travers sa chaine YouTube dès 2012 !
Google vient de disrupter le monde de l’éducation en mondialisant une initiative individuelle dans le cadre d’une politique de communication RSE !
Seconde stratégie d’open innovation mise en œuvre par Google : Udacity
En 2004, six mois après son arrivée à Palo Alto en tant que professeur associé, Sebastian Thrun est nommé directeur du Stanford Artificial Intelligence Laboratory. L’année suivante, son équipe remporte le Darpa Grand Challenge, un concours pour construire une driveless car « Stanley », Volkswagen Touareg qui doit réussir à réaliser un parcours balisé dans le désert du Nevada. Pour avoir relevé brillamment ce concours, Stanford reçoit un prix de 2 millions de dollars. En Avril 2011, Thrun quitte Stanford pour prendre la tête de Google X, un laboratoire créé par Google pour incuber des projets les plus ambitieux et secrets de l’entreprise : Driveless car, Google Glass, Loon Project, etc…
Après avoir vu Salman Khan à TEDx, Sebastian Thrun reprends un ancien projet d’enseignement en ligne.
En Juin 2011, Sebastian Thrun et Peter Norvig, Directeur de la recherche de Google et collègue à l’Université de Stanford, créent la startup KnowLabs et y investit 300.000 dollars. Il nomme David Stavens, l’un des co-créateurs de Stanley en qualité de PDG et Mike Sokolsky, chercheur en robotique à Stanford, en qualité de Directeur technique. L’équipe technique qui est mobilisée provient de essentiellement de l’équipe de la Google driveless car. KnowLabs va devenir Udacity.
Udacity est une plateforme de MOOC (Massive online open course) dirigée par deux Directeurs de la Recherche de Google. Elle donne une valeur sociétale inestimable à la technologie Google (40 % des formations portant sur des technologies Google) : en effet, Udacity disrupte le secteur de l’enseignement en promettant un nouvel emploi mieux rémunéré à l’issue de la formation ou un remboursement dans le cas contraire… et non plus un diplôme.
Les résultats sont impressionnants :
En janvier 2016, Google a annoncé que 1 million de personnes sont inscrits dans les cours de formation Google Developer, disponibles dans Udacity.
Vincent Vanhoucke, chercheur et responsable technique de l’équipe Google Brain, enseigne le cours de Deep learning disponible dans Udacity. L’équipe Google Brain est en charge de cette technologie à l’intérieur de nombreux produits Google (Google Voice Search, Inbox by Gmail, Google Photos, and Google Translate, etc..).
La réussite de la stratégie d’essaimage de Google est indéniable. Tout d’abord, elle inscrit sa technologie directement dans sa politique de communication en lui donnant une audience plus importante. Enfin, elle inscrit sa technologie directement dans sa politique de responsabilité sociétale (RSE) en lui donnant une valeur sociétale.
Troisième stratégie d’open innovation mise en œuvre par Google : edX
edX est une plateforme de MOOC (Massive online open course) fondée en mai 2012 par des scientifiques de Harvard et MIT : Gerry Sussman, Anant Agarwal, Chris Terman et Piotr Mitros animent un premier cours d’électronique pour un effectif de 155 000 étudiants appartenant à 162 pays.
Parallèlement, en 2012, Google a lancé un logiciel open source dédié à la conception de cours en ligne. « Course Builder » est une application Web qui s’inscrit dans la mission de l’entreprise d’être au service de l’éducation. Peter Norvig, directeur de recherche chez Google (vous vous souvenez un des créateurs de Udacity !) communique : « nous voulions lancer cet outil pour montrer que Google peut contribuer à la technologie dans le domaine de l’éducation« .
Le logiciel permet de créer des activités et des évaluations sur un site Web. L’application est multiplateforme et est adaptée à la plateforme Google App Engine, mais pourrait être déployée indépendamment. Google a produit une documentation complète sur la création de cours et l’adaptation du code pour des besoins spécifiques.
Peter Norvig déclare également : « Nous pensons qu’en partageant le code source que nous avons produit, on pourrait atteindre plus de personnes dans le domaine de l’éducation. Il y a beaucoup d’expérimentations dans l’industrie en ce moment, et nous avons estimé que la contribution d’un projet open source serait un bon point de départ qui pourrait aider tout le monde. »
Malgré cette réussite technique, le projet Course Builder est un flop : développement trop lent, manque de fonctionnalités, difficulté à fédérer une communauté. En septembre 2013, Google abandonne le projet pour annoncer son alliance avec le consortium edX. Il apporte sa force de frappe pour donner à la technologie Open edX une toute nouvelle dimension. Le projet s’appelle tout simplement mooc.org
Les résultats sont impressionnants :
En mars 2016, edX forment plus de 5 millions de personnes.
A partir de 2013, la technologie Open edX est utilisée par des plateformes internationales majeures :
• en 2013, 120 établissements d’enseignement supérieur en France se sont réunis sous la direction du Ministère français de l’Education pour offrir des cours en ligne dans toute la France. Ils lancent la plateforme de MOOC publique France université numérique (FUN) sur la base de cette technologie : Capgemini, un grand groupe français de services informatiques, a la responsabilité du projet ( hébergement à l’Inria, institut de recherche spécialisé en informatique, remplacement de YouTube par Dailymotion, personnalisation des couleurs du site).
• en 2013, dix universités chinoises se sont réunies pour lancer la plateforme de MOOC publique XuetangX en Chine.
• en 2013, la Fondation Reine Rania pour l’éducation et le développement (QRF) lance Edraak, la première plateforme de MOOC pour le monde arabe.
• en 2013, le Fonds monétaire international (FMI) une plateforme de MOOC pour piloter des cours de formation en ligne en économie et finance.
Google s’inscrit définitivement dans le monde de l’éducation en mondialisant une technologie open source Google dans le cadre d’une politique de communication RSE !
Pour résumer, Google a mis en œuvre brillamment trois stratégies d’open innovation pour s’inscrire définitivement dans le secteur de l’Education au niveau mondial.
Ces trois stratégies sont en appui d’une stratégie commerciale plus offensive : la stratégie Ocean Bleu !
Définition de la stratégie Ocean Blue
La pierre angulaire de la stratégie Océan Bleu est l’innovation utile (value innovation, en anglais), une forme d’innovation qui doit créer et augmenter la valeur pour les clients et, dans le même temps, réduire ou éliminer les caractéristiques du produit et/ou les services qui ont moins de valeur pour le marché actuel ou à venir.
Pour atteindre cet objectif, l’organisation doit créer une nouvelle demande dans un espace stratégique non contesté (dit Océan Bleu), plutôt que de perdre son énergie à affronter des fournisseurs existants pour des clients existants dans une activité existante (dits Océans Rouges).
Stratégie Océan bleu mise en œuvre par Google : ChromeBook
En 2012, Google est un acteur mineur (1% du nombre de périphériques vendus aux écoles aux USA) dans le secteur de l’éducation. Ce marché est alors dominé par Apple (52% du nombre de périphériques vendus aux écoles aux USA) et Microsoft (43% du nombre de périphériques vendus aux écoles aux USA).
Google décide de quitter ces océans rouges pour construire un océan bleu : le ChromeBook associé aux services en ligne Google :
Google cracke l’expérience de l’apprenant en proposant un Portable low-cost à 199 dollars entièrement connecté au cloud pour les applications et le stockage.
Les avantages sont les suivants :
- ne pas permettre de faire autre chose que d’étudier
- rendre accessible les cours sur tous les périphériques disposant du système d’exploitation Android (développé et maintenu par Google)
- ne pas nécessiter de maintenance de la part de de l’école notamment en terme d’antivirus. Google maintient à jour et sécurise le tout.
Les résultats sont impressionnants :
En moins de deux années, en 2012, Google devient leader sur le marché des périphériques vendus aux écoles aux USA avec une part de marché de 53% (contre 24% pour Microsoft et 23% pour Apple).
Conclusion
La stratégie de Google est éclairante pour InnoCherche :
- elle illustre des principes énoncés dans les 10 attentes transverses de tout citoyen consommateur comme « vidéo first »
- elle montre un changement de paradigme dans l’éducation où l’objectif n’est plus le diplôme mais l’emploi à pourvoir
- derrière une stratégie open source et open innovation, il y a des intentions Business fortes: en deux ans, la part de marché de Google passe de 1% à plus de 50% dans la vente de terminaux pour les écoles
Rappelons que tous les acteurs du GAFA supportent des communautés open source (notamment dans le Big Data) pour former ainsi les futures générations à leurs outils.
Par Thomas HERVOUET-KASMI, animateur du Think Tank Formation Continue