Comment exploiter les mêmes techniques de manipulation utilisées commercialement sur les réseaux sociaux tels que Roger McNamee nous les a présentées, à des fins politique ? Petite leçon donnée par les Russes lors de la dernière campagne américaine de 2016 et documentée par Facebook devant le congrès américain.

Comment faut-il s’y prendre ?

  1. D’abord se préparer 4 ans avant l’élection
  2. Se procurer un fichier – que l’on va soit voler comme les Russes en hackant les militants du camp adverse ( en 2016 la DCCC, la DNC) ou tout simplement acheter sur le darkweb où traîne des copies des fichiers de Cambridge Analytica avec 50 millions de personnes plus ou moins démocrates. On y repère ceux qui sont plutôt mous et qui sont donc susceptibles de ne pas aller voter.
  3. Construire avec 3 ans d’avance une machine de propagande « Troll Farm as a service » en créant des médias digitaux tendancieux où l’on embauche des journalistes désargentés en leur demandant de reprendre des thèmes d’actualités en leur donnant tel genre de biais …
  4. Ces articles tendancieux – mais venant de plusieurs sources ce qui augmente leur crédibilité – sont ensuite relayés par vos hacktivistes et leur followers regroupés dans des groupes de discussion sur Facebook aux noms trompeurs comme « Pro Sander » ou comme les « Musulmans Engagés ». A la tête de ces groupes des leaders bien formés aux pratiques de la propagande et de la manipulation vont distiller des messages qui vont être relayés par des robots, des BOTs, et qui vont chercher dans des communautés similaires des électeurs démocrates qui sont dans le doute à coup de publicité parfaitement ciblés.

Dans toute cette activité, il faut chercher au maximum à faire des clivages, à créer des antagonismes très forts, au besoin en créant des groupes des deux côtés de la dispute et de temps en temps en organisant des réunions physiques au même endroit pour que les groupes se tapent carrément dessus… ce qui crée toujours du buzz.

Ces BOTs qui suivent des individus faibles ou incertains vont leur pointer de temps en temps des liens vers des articles des sites digitaux créés au début de la campagne qui donnent un petit biais à l’information et ceci au bon moment, au bon endroit – en utilisant les cours de manipulation de BJ FOGG le “Behaviour Scientist” professeur d’éthique pour les développeurs à Stanford.

Il faut juste prévoir un petit budget pub, message sponsorisé d’environ 100 K$ pour des contenus sponsorisés sur Facebook qui sont relayés vers d’autres communautés aux même caractéristiques; c’est la précieuse fonctionnalité « similar audience », qu’offre FaceBook.

Petit à petit, on recrute des nouveaux membres que l’on endoctrine en suscitant la colère et la peur.

C’est du travail minutieux, préparé à l’avance et que l’on active au bon moment et notamment au dernier moment à la veille de l’élection pour pas que le camp adverse puisse réagir, comme on l’a vu avec cette théorie complotiste du “Pizzagate” qui prétendait que le directeur de campagne de Hillary Clinton était à la tête d’un réseau de pédophilie qui se réunissait dans des arrières boutiques de pizza.

En jouant sur le phénomène de bulles FaceBook qui isole des audiences qui ne reçoivent que l’information allant dans un sens, la propagande russe a réussi à complètement polariser la vie politique américaine dans un débat devenu parfois haineux, sans aucun argument rationnel et objectif, basé uniquement sur des peurs et des craintes.

Alors combien cela coûte ?

Budget of assymetric warfare

Budget of assymetric warfare

Très peu pour une guerre d’influence entre deux super-puissance. C’est tout l’art de la guerre asymétrique où les russes sont passés maîtres. Avec mille fois moins de moyens, j’arrive à vaincre un ennemi plus riche et plus puissant en retournant ses armes contre lui. D’après les calculs approximatif de Roger McNamee, pour monter une telle opération, il faut pendant 4 ans, 80 à 100 hackers professionnels, pour un coût global estimé autour de 100 millions de dollars, soit le coût d’un chasseur militaire F35.

Dans ce coût total, la part de la publicité payée à Facebook est minime. FaceBook a admis devant le congrès avoir reçus 100K $ de compte d’agents Russes en rouble pour financer 3000 annonces relayés par 470 fake account et de nombreux BoT. Etant donné le patient travail de terrain fait en amont dans les différentes communautés, ces Fakenews qui rebondissent sur de l’actualité déformée, ont été vues 340 millions de fois. Cela vous montre l’aspect viral de ces fake news, qui bien orchestrées avec des relais de groupes similaires en groupes similaires touche un auditoire très large. Dans un autre témoignage et utilisant une autre métrique, Facebook a reconnu que 126 millions de personnes ont été touchées par ces publicités et ces fake news russes lors des élections. Ce chiffre est à rapporter aux 137 millions de votants des dernières élections de 2016.

In fine, cette entreprise construite pour décourager les démocrates d’aller voter a bien fonctionné puisque entre l’élection de Obama en 2012 et la défaite de Hillary Clinton en 2016, 4 millions d’électeurs démocrates sont restés chez eux le jour du scrutin pour Hillary Clinton.

Trump-Campaign 2016Trump a bien compris tout cela et notamment que pour exploiter ce terrain haineux, il fallait faire campagne sur les thèmes clivants. Parmi les 17 candidats républicains, c’est le seul à avoir martelé des thèmes de campagne autour de sujets polémique et haineux comme les idées de Sécession du Texas et de la Californie, les problèmes d’immigration, contrôle des armes et toutes les théories complotistes. Tout ceci galvanise une base qui a déjà été bien conditionnée par les Fake news – qui elle ira vraiment aller voter le jour J.

Point de vue de POUTINEIn fine, si on regarde du point de vue de Poutine, c’est un succès extraordinaire de asymmetric warfare parce que pour un tout petit budget de 100 millions de dollars, il a complètement réduit à néant le “soft power” que la démocratie américaine avait créé depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ceci a permis un retour marqué de la Russie sur la scène internationale et notamment au Moyen Orient pour défendre ses intérêts vitaux; aujourd’hui après le retrait des américains, Poutine est maître du jeu et affirme tranquillement au Financial Time en Juin 2019 que “le libéralisme est devenu obsolète” comme semble le confirmer les sondages répétés auprès des jeunes dans nos démocraties qui à plus de 60% ne croient plus à son mérite.

Il est bien loin le beau rêve un peu utopiste sur cet internet ouvert et libre, facilitant les échanges entre citoyens, qui avec l’économie de marché, provoquerait un passage inéluctable de tous les peuples vers une sorte de démocratie occidentale, amenant Bill Clinton à dire à son homologue Chinois Jiang Zemin en 1997, en reprenant une citation de Mao “vous êtes du mauvais côté de l’histoire”.

 

InnoCherche – Novembre 2019.