L’impression d’ADN c’est facile à San Francisco
La première fois qu’on rentre dans la Fab de Twist Bioscience à San Francisco, on prend conscience d’une nouvelle dimension d’innovations technologiques à laquelle les 4 dernières révolutions industrielles et technologiques ne nous ont pas préparés.
Comme dans toute Fab, on s’équipe de vêtements de protection pour ne pas contaminer, mais plutôt moins que pour voir une ligne de production de crème glacée. La découverte de la FAB de Twist Bioscience nous plonge au cœur des atomes de la vie. De prime abord, les 3 imprimantes qui occupent le centre de l’atelier ronronnent avec des airs d’imprimantes 3D. Mais ici les matières de production s’appellent G-C-A-T et le support de production est une plaque de silicium grande comme une tablette de chocolat avec 10 000 puits. Chaque imprimante remplit une plaque par jour avec près de 10 000 gènes et 1 million de paires de nucléotides. Début 2018, Twist Bioscience peut produire 20 000 gènes par jour.
Avant Twist Bioscience, en fait hier soir à l’échelle de notre temps, les meilleurs labos pouvaient produire un gène sur des plaques à 96 puits et cela pour quelques dizaines de gènes par jour. Avec Twist Bioscience, on est dans un rapport d’accélération de x 10 000 pour un coût qui chute dans les mêmes proportions.
Un rapide retour à nos cours de collège
Avant d’aller plus loin, un rappel s’impose pour comprendre les enjeux et les usages que révolutionne Twist Bioscience. Le site www.biologie-de-synthese.fr/fr/base.html permet de rafraîchir ses cours de biologie de 3ème. Les gènes et l’ADN qui les constituent, sont au coeur de toute cellule. Un gène est une séquence d’ADN. Ce dernier est une double hélice constituée de paires de 4 nucléotides G-C et A-T. L’ensemble des 20 000 gènes d’un être humain ou des 4 000 gènes d’une bactérie, constitue son information génétique. Chaque cellule humaine contient un noyau dans lequel se situent 23 paires de chromosomes, supports de ces 20 000 gènes. Une bactérie n’a pas de noyau et possède un seul chromosome. C’est plus simple et bien pratique, nous verrons bientôt pourquoi…
Le scale up par la supply chain
Pour produire ses 20 000 gènes par jour, Twist Bioscience a créé un processus “make to order” fluide et rapide. Le portail de commande permet au Client de s’identifier et après validation, de charger la configuration des séquences d’ADN ou des gènes désirés par un simple drag and drop de fichiers excel. Le portail contrôle la commande, relève les incohérences éventuelles (par exemple une paire A-G) et confirme le prix, sur la base de $9.6 cents par paire GC ou AT. Après validation du paiement, la commande est confirmée, exécutée et livrée en quelques jours.
La disruption dans la Biotech, c’est maintenant
Mêmes ceux qui n’ont jamais eu besoin de commander une séquence d’ADN comprendront qu’avec cette capacité de production de masse, rapide et peu coûteuse, Twist Bioscience embarque chacun de nous dans un monde qui va se transformer comme jamais.
Un exemple : nous venons de le voir, une bactérie est un être vivant avec un bagage génétique simple : pas de noyau et un seul chromosome. Depuis les années 70, la biologie de synthèse programme les bactéries pour développer des fonctionnalités bien définies. Cette reprogrammation se fait en modifiant des séquences d’ADN de la bactérie par “sélection naturelle” ou en remplaçant des séquences. Dans les 2 cas ce processus nécessitent de nombreuses séquences à tester sur beaucoup de bactéries. Des années et de gros budgets de R&D étaient nécessaires, car les séquences d’ADN “test” étaient longues et chères à obtenir. Désormais émerge la possibilité de produire beaucoup plus facilement des polymères, des biocarburants et des médicaments.
La Bactérie Augmentée
Avec Twist Bioscience, l’ère de la bactérie augmentée rentre dans une dynamique industrielle pour résoudre les problèmes de l’humanité de façon durable.
Les exemples récents sont nombreux :
- Par exemple, Dupont lance la gamme Sorona en produisant un monomère de base du Nylon, l’acide adipique, en fermentant des rafles de maïs grâce à des bactéries augmentées dans un fermenteur. Sorona est la première gamme de moquette produite sans pétrole,
- L’Oréal lance une gamme de crème de beauté dont l’Isobutène, principal texturant, est produit par Global Bioenergies à partir de fermentation en phase gazeuse de betteraves sucrières et non plus de pétrole.
- Aux US, Impossible Foods lance l’Impossible Burger et produit déjà 500 tonnes par an de steaks végétaux saignants grâce à de l’hémoglobine de synthèse produite par fermentation,
- La soie d’araignée n’est pas seulement l’arme secrète de Spiderman, c’est aussi une fibre naturelle capable de révolutionner de nombreux secteurs industriels par ses qualités de légèreté, souplesse, résistance, élasticité et biodégradabilité. L’élevage d’araignées en ferme est un échec : l’araignée est une individualiste forcenée. En Allemagne, AMSilk produit des soies d’araignée à partir de biopolymères issus de bactéries augmentées.
Le Big Data durable pour l’éternité
Mais par delà la contribution de Twist Bioscience au progrès de la synthèse biologique et à la génomique en général, c’est dans l’archivage des données informatiques et du Big Data que la capacité de produire de grandes quantités d’ADN va révolutionner nos usages.
L’analogie entre le monde du digital fait de 1 et de 0 et la structure de l’ADN faite de G, C, A et T est aisée. On imagine facilement stocker des informations en binaire ou en base 4. La capacité de la double hélice de séquence AG-CT à enregistrer des centaines de milliers de paires dans une suite qui ne bouge pas et à se replier sur elle-même pour atteindre une compacité phénoménale, donne à rêver. L’ADN a aussi une autre vertu : il est stable à des températures modérées pour des centaines de milliers d’années et cela sans “utilités”. Enfin, la double hélice apporte aussi une redondance intrinsèque qui fait que chaque brin a sa propre copie de sauvegarde.
La comparaison avec les caractéristiques des data centers les plus récents milite en faveur de l’ADN : un centre de stockage de données numériques, c’est une capacité de stockage de données d’un Exabyte par centre (soit un milliard de gigabytes), et une consommation d’énergie toujours plus importante. Les bandes magnétiques utilisées pour l’archivage sont peu onéreuses, mais leur durée d’utilisation est limitée de 3 à 10 ans.
Par comparaison l’ADN d’un corps humain, environ 150 grammes, stocke 150 zetabytes – 150 000 exabytes de données – 150 data centers, et n’a pas besoin d’énergie. Il est admis qu’en 2040, la quantité mondiale de données générées par le BigData depuis l’origine par l’ensemble de la planète sera de 3000 zetabytes soit l’équivalent de 3 kg d’ADN. En considérant la densité de l’ADN dans une cellule humaine, l’archivage des données de 3000 zetabytes représenterait 3kg d’ADN pour un volume de 3 litres pouvant être stocké à température ambiante. Enfin la durée de stockage est proche de l’éternité : on trouve régulièrement des fragments d’ADN dans des sédiments vieux de centaines de milliers d’années et les technologies de lecture d’ADN vont continuer à se développer dans les siècles à venir. Il n’est pas certain que la lecture de bandes magnétiques connaisse une telle pérennité.
La mise en oeuvre théorique est simple : la donnée informatique est traduite en séquences AG et CT, ensuite imprimées et stockées. Pour lire les données, un séquenceur est suffisant pour recomposer la séquence initiale.
Cette capacité d’archivage de données informatiques n’avait pas beaucoup de sens du fait de la lenteur et des coûts des systèmes d’écriture et de lecture de l’ADN. Concurrencer le coût d’une bande magnétique, même périmée au bout de 10 ans, n’est pas simple.
Une nouvelle Loi de Moore ?
Avec la production d’ADN à haut débit, comme le réalise Twist Bioscience, l’accélération de la technologie du stockage de données dans l’ADN pulvérise la loi de Moore :
- En juillet 2016, Microsoft encode 200 mégabytes de données incluant la Déclaration des Droits de l’Homme en 100 langues et le roman Guerre et Paix. Après re-séquençage, aucune perte d’accent ou de ponctuation n’est signalée. Les données ont été stockées dans 1.5 millions de paires AG et CT encodées sur 2 plaques de silicium, pour un coût de $150k USD avec les prix 2018 de Twist Bioscience, et $15k USD pour séquencer l’ADN produit.
- Début 2017, des chercheurs de l’université de Columbia et du centre du génome de New York créent la “fontaine ADN” et démontrent la capacité de stocker 215 PetaBytes (0.2 exabytes) par gramme d’ADN en intégrant des technologies d’encodage vidéo,
- En Septembre 2017, deux morceaux de légende du Jazz du Festival de Montreux, “Smoke on the water” et “Tutu” sont encodés dans un brin d’ADN et rejoués sans aucune perte d’information,
- Pour 2023, Twist Bioscience prédit déjà une baisse du prix de l’écriture d’ADN d’un un facteur 10 000.
La 5ème révolution Industrielle ?
Finalement, l’expression à la mode “ c’est inscrit dans mon ADN” décrit bien cette nouvelle révolution technologique : les 2 premières ont buté sur la limite des ressources naturelles et de l’énergie, les 2 suivantes sur l’envolée exponentielle des coûts de la mise en oeuvre des données numériques et des réseaux. La révolution des technologies de l’ADN ouvre de nouveaux territoires de progrès durables et pérennes.
Nicolas Viard pour Innocherche.
Illustrations Twist Bioscience