Constat et pistes d’optimisation sur les programmes de fidélité
Pendant les années 90 et 2000 la plupart des marques se sont évertuées à développer leur programme de fidélité, envisagé comme la panacée du CRM. Conséquence flagrante : l’inflation de cartes plastiques qui ont alors envahi les portefeuilles, pour des avantages longs à se matérialiser et laissant souvent le titulaire sur sa faim.
En effet, en réponse au coût croissant du recrutement de nouveaux clients, pour pouvoir travailler fidélisation et stimulation une fois le client à bord et lutter contre l’attrition par la suite, le programme de fidélité fournissait enfin la connaissance client à travers la capture de ses transactions avec la marque.
Ce faisant les marques ont cependant pris le risque de disperser leur attention et leurs moyens, en créant une activité très impliquante au-delà de leur offre principale. De plus, elles ont maladroitement placé la relation avec leur client sur un plan très froidement mercantile, de type « donnant –donnant » : sois un client fréquent, donne-moi tes infos et en retour je t’offre de la valeur marchande.
Aujourd’hui cette approche est à la fois dépassée, insuffisante et toutes dimensions de coûts et d’efficacité prises en compte, trop souvent plus pénalisante que bénéfique. Les entreprises doivent s’attacher à comprendre les véritables attentes de leurs clients pour se consacrer à leur procurer une expérience globale capable de générer leur attachement à la marque, la clé d’un engagement durable.
Je vous propose dans ce 1er article, LES PROGRAMMES DE FIDELITE ET L’ENGAGEMENT CLIENT : un constat et des pistes d’optimisation sur les programmes de fidélité, puis dans un article à suivre, 3 TEMPS POUR CREER L’ENGAGEMENT DURABLE DE VOS CLIENTS : mon point de vue sur les piliers de la démarche d’engagement client.
LES PROGRAMMES DE FIDÉLITÉ PARTICIPENT-ILS A L’ENGAGEMENT CLIENT ?
Les programmes de fidélité traditionnels ne répondent plus aux objectifs d’optimisation de l’expérience client ; leur logique quantitative néglige dangereusement la dimension émotionnelle de la relation à la marque.
- La genèse des programmes de fidélité
A une époque où l’essentiel du commerce était physique et ne disposait pas d’outils d’identification automatique des clients (ni cookies, ni reconnaissance de l’adresse IP etc) sur des activités digitales, les programmes de fidélité se sont avérés des outils précieux pour progresser en connaissance fine des clients. En créant et stimulant le réflexe d’identification systématique du client en échange d’une valeur ultérieure offerte en retour, ils ont permis de suivre les interactions avec la marque de façon individualisée et de consolider ainsi les données indispensables au développement d’un bon CRM.
- Les effets limités des programmes de fidélité, désormais omniprésents et standardisés
Il en était par ailleurs attendu un effet fidélisant. Puisque rationnellement le client a avantage à multiplier ses achats auprès de la marque pour bénéficier in fine de remise ou autre valeur à travers la conversion de ses points de fidélité. Cette efficacité a pu effectivement être au rendez-vous tant que les programmes étaient encore différenciant, avec une prime aux précurseurs et aux marques dont les produits ou services offerts in fine font naturellement rêver.
Mais dans les faits, à travers ces programmes et en communiquant fortement sur eux en parallèle des offres et services au cœur de leur activité, les marques ont placé la relation client sur un plan mercantile : « je t’achète tes produits et je m’identifie » – ce qui souvent requiert un effort ou une opération ad hoc même si avec la digitalisation les processus s’automatisent – « et en retour tu me fais des cadeaux ».
Or cette valeur-cadeau est forcément limitée par les contraintes économiques de l’entreprise. Et si la valeur des cadeaux est insuffisante aux yeux du client (ou pire est dégradée en cours de vie du programme qui finit par coûter trop cher à l’entreprise), alors l’efficacité du programme en est affectée et par ricochet c’est ensuite la perception globale de la marque et de son offre qui en pâtit.
Et parce qu’elle est d’ordre mercantile, la fidélité créée par ces programmes n’est pas de l’engagement à la marque et à ses produits organiques au sens émotionnel qui est le degré durable à rechercher. Elle est une sorte de relation parallèle à la relation essentielle qui doit se développer entre la marque et son client. Par exemple, elle protège mal la marque des conséquences de la déception sur le produit ou le service acheté.
Résumé des faiblesses d’un programme de fidélité traditionnel :
- L’outil est devenu banal, perçu comme un « outil » justement jusque dans les yeux du client, toutes les marques espérant de l’achat récurrent en proposent un aujourd’hui
- Il est « froidement » transactionnel : il récompense les achats seulement – pas l’attachement à la marque, les interactions de toute nature, l’action pour sa notoriété etc
- Engagement de long terme, il s’avère bien souvent coûteux pour l’entreprise (cf la gestion délicate de la dette générée), et pourtant il est généralement perçu comme peu généreux par le client
- Il représente une diversion risquée (budget, ressources, temps et attention à l’exécution, nécessité de le digitaliser lui aussi) vs le core business. Il doit cependant être très bien exécuté car il est partie prenante de l’expérience client dès lors qu’il existe et est fortement promu à tous les moments de contact client
- Il est souvent assorti de contraintes plus ou moins faciles à comprendre à l’inscription par le client pour limiter son coût. Et celles-ci créent la déception au moment de vérité de la conversion, ou quand le panier de points arrive en fin de validité.
- Malgré les data collectées – qui servent aussi à en calculer le ROI – il est peu personnalisé (car la personnalisation des communications augmente d’autant les coûts)
- S’il n’a pas bénéficié des investissements nécessaires il n’est pas digital ou est resté en version 1.0 et est donc en décalage avec l’expérience attendue par ses utilisateurs
- Il n’est généralement pas un outil de conquête. Ce qui ne favorise pas son ROI et la justification des investissements qu’il nécessite régulièrement.
- Comme il est centré sur la stimulation et la lutte contre l’attrition, personne ne garde d’échantillon contrôle hors programme de fidélité pour du A/B testing. Ce serait brimer de bons clients et prendre un risque inacceptable. Il est donc d’autant plus difficile d’établir son ROI.
- Une fois lancé, toute modification de la générosité à la baisse est douloureuse. Quant à mettre fin au programme cela semble juste inenvisageable
Pour les raisons qui précèdent, le programme de fidélité n’est donc pas aujourd’hui l’atout principal d’une stratégie d’engagement client réussie.
Que faire maintenant avec les programmes de fidélité en place ?
Les programmes existent et perdurent. Il faut donc les améliorer pour les rendre cohérents avec les objectifs de gestion de l’expérience client.
Les bons programmes de fidélité sont des programmes qui font une place croissante à la reconnaissance du client, intégrant l’ensemble des interactions et lui procurant des bénéfices supplémentaires immédiats lors de l’achat ou de la consommation des services ou des produits. Ainsi que des attentions, ou surprises développant le lien émotionnel entre le client et l’entreprise. Ils doivent de plus proposer une expérience plaisante et efficace via leur interface. Automatisés pour le gain des points, digitalisés pour leur usage, intégrés pour le service clients. Voici quelques pistes d’optimisation.
- Digitaliser impérativement
L’attente des clients est similaire à celle qu’ils ont vis-à-vis d’une expérience e-commerce. Inscription, consultation du compte de points, conversion. Tout cela doit pouvoir être fait aisément en mode digital.
Information transparente, usage facile, interactions fiables. Le programme de fidélité doit délivrer une expérience de même qualité que celle de la vente des produits et services de la marque. Sinon il pénalise l’ensemble de la marque.
Si de plus l’expérience est agréable, gratifiante, apporte une dimension émotionnelle alors le programme devient précieux.
Monoprix a abandonné le processus de retrait de chèques cadeaux aux bornes magasin, qui était laborieux et rébarbatif, et le (la) caissier(e) propose simplement régulièrement au client d’appliquer la remise sur son ticket lors du passage en caisse.
- Offrir des bénéfices statutaires et des attentions ponctuelles
Il s’agit de reconnaitre la qualité de client régulier et à volume significatif via des services plus.
Flying Blue (et de nombreux programmes d’autres compagnies aériennes) donne accès à des niveaux (Ivory, Silver, Gold, Platinum) en fonction de la consommation de vols. Ces niveaux sont bien connus des frequent flyers car ils permettent au client de bénéficier de services comme l’accès aux salons d’aéroport, la priorité sur les listes d’attente, à l’enregistrement, puis à l’embarquement indépendamment du tarif de vol payé. Donc d’améliorer notablement les conditions de confort du vol et des moments qui le précèdent.
Les clients élus se sentent distingués et sont généralement très satisfaits de ces traitements privilégiés.
En revanche, quand ils sont visibles pour ceux qui n’y ont pas droit, ces services sont susceptibles de créer la frustration des autres clients. L’entreprise fait donc dans ce cas le choix conscient de mieux traiter un cœur de cible sélectionné. En espérant motiver les autres. Mais se prive éventuellement de la conquête de clients encore en périphérie, mais pas forcément sans potentiel.
Les attentions ponctuelles, les offres exclusives additionnelles aux promesses affichées du programme ont l’avantage d’être moins visibles, et bénéficient de l’effet positif de la surprise.
La Fnac sélectionne ses bons clients qui se voient dotés d’une carte One, qui leur réserve l’accès à des caisses prioritaires et leur offre la livraison gratuite en cas de commande sur le site, et joue en complément sur des invitations régulières à des ventes privées et remisées, ou encore à des événements culturels découverts au fur et à mesure de la communication du programme.
- Personnaliser le programme et son animation
Il est important de prévoir des primes avec des valeurs de conversion pour tous les participants, riches ou pauvres en points. Le moment de vérité est souvent celui de la conversion des points. Une conversion sans couture (attention au processus de demande pour le client et d’exécution pour la marque, surtout si celui-ci est sous-traité) et la confirmation de la promesse du programme sont clé pour sa crédibilité.
Les communications peuvent aussi être adaptées au comportement du client sur le programme. Les clients se comportent en effet très différemment avec leur encours de point, indépendamment de leur niveau de transaction. Certains veulent vite tester et convertissent tôt, puis souvent. D’autres aiment thésauriser pour atteindre la prime qui justifiera leur patience. D’autres encore ne convertissent jamais (faute de temps, par manque d’intérêt surtout si l’inscription au programme ne leur a pas demandé de démarche ad hoc, et parfois parce qu’ils préfèrent l’idée de la prime à la prime elle-même)
Les bons programmes communiquent les récompenses en fonction de l’encours de points du client : ce qui est accessible et un peu au-dessus pour être incitatif. En cas de choix diversifié avec des primes partenaires de natures diverses, ils tiennent compte des informations client (qu’a-t-il acheté ? qu’a-t-il choisi comme prime précédente ? n’a-t-il encore jamais converti ? etc) pour la communication d’animation du programme.
Membership Rewards chez American Express, réserve certaines opérations centrées sur les primes élevées en valeur à la cible des clients correspondants. A l’inverse les communications de début de vie du client à bord mentionnent les primes rapidement accessibles. Des communications ad hoc s’attachent périodiquement à déclencher la première conversion des résistants.
- S’assurer d’une véritable intégration du programme dans la communication relationnelle et les medias de la marque
Il faut intégrer le programme au reste de l’expérience client plutôt que le gérer comme une activité indépendante, donnant lieu à des contacts et des communications isolées, éventuellement déconnecté du positionnement de la marque. L’objectif est de le relier autant que possible à l’expérience client, à condition qu’il soit au niveau requis bien entendu.
Le service clientèle doit pouvoir visualiser le compte de fidélité et l’intégrer à son discours. Soit pour proposer la conversion des points, ou informer de nouvelles primes. Soit pour alerter sur la fin de leur validité. Il se positionne ainsi en accompagnant aux petits soins du client et enrichit le contact avec du « soin gratuit » (customer care)
Le site et le compte en ligne doivent s’articuler avec le reste des services numériques de la marque, et ne surtout pas passer par des accès différents. (identifiant, mot de passe : le client en a déjà trop avec un seul jeu !)
- Enrichir avec la complicité et l’échange
Il faut ensuite valoriser la présence des clients à bord du programme au-delà de la promesse de valeur d’origine qui est finalement un dû à leurs yeux. Leur proposer de s’exprimer. D’être les testeurs de services en avant-première, ou bien des experts de la marque vis à vis d’autres clients. Les inviter pour qu’ils assistent à un événement et rencontrent les collaborateurs de la marque.
Il faut également penser aux bonnes occasions (anniversaires de leur premier achat, de la montée à bord du programme, incident qui a conduit à « tester » sa confiance…) pour remercier, et reconnaitre ces clients.
Afin de créer le relationnel au-delà du transactionnel.
Pour créer l’engagement durable de ses clients la marque doit aujourd’hui travailler la délivrance d’une expérience client centrée en priorité sur son core business model et confortée successivement sur les 3 dimensions suivantes :
- Bien délivrer la promesse basique de l’offre de service ou de produit avant toute chose. I.e. bien accorder promesse et faits. Travailler la cohérence à travers l’ensemble des acteurs de l’entreprise et être intransigeante sur la qualité, s’attacher à la résolution des irritants client.
- Adapter, personnaliser l’expérience client. Reconnaitre celui-ci pour ce qu’il est et pour ce qu’il a donné à connaitre de ses goûts et de ses attentes. Etre capable d’interagir de façon pertinente. Construire une relation agile et à l’écoute.
- Atteindre le niveau émotionnel de la relation à travers du « plus » au-delà des attentes primaires du client. S’assurer d’un service empathique et capable d’initiatives immédiates convaincantes et marquantes. L’effet « waouh », très lié aux interactions humaines ou tout du moins individualisées.
Ce sera le sujet d’un prochain article : 3 TEMPS POUR CREER L’ENGAGEMENT DURABLE DE VOS CLIENTS
Hélène Duneigre
Directeur BU et Projet Stratégique. Marketing multicanal.Digital. Expérience client