Éclairs Interférence : Ville obsolète ?

Interférence #2, TT Smartcity avec Laurent Lehmann

Vendredi 27 novembre 2020

A. Alors la ville obsolète ? Laurent Lehmann ? 

  • La ville obsolète NON ! le bureau obsolète depuis 10 ans ?!? … intéressant ce que nous révèle ce confinement COVID et le recours forcé au télétravail. 
    • Travail, mobilité, résidentiel : dans la ville tout est lié. Si on change brutalement une facette (bureau non obligatoire) comme nous allons le voir les équilibres changent beaucoup
    • Certes le concept de la Mégacité comme seule solution au développement durable de la planète que nous avons entendu rabâcher depuis 30 ans a pris du pl
    • omb dans l’aile avec la vulnérabilité plus grande des villes face au COVID.
    •  l’article du NY Times est cruel pour le gouverneur Cuomo de l’État de New York qui était sûr que sa ville saurait mieux résister … alors que comme toutes les autres villes il y a eu 3 à 6 fois plus de mortalité par habitant que les régions périphériques. (article NY Times 10 Juin)
    • Rappelons avec le référentiel InnoCherche, que la ville doit satisfaire nos 12 besoins vitaux et ne sautons pas à la conclusion “ville obsolète” car le besoin certes vital “de rester en bonne santé” a moins bien performé que prévu dans les grandes villes en Occident. 
  • Dire par exemple que Paris perd des habitants, n’a rien de nouveau. En sept ans, la ville a perdu 53.000 habitants (2012-2017 INSEE). Imaginer que chacun prenne ses cliques et ses claques pour rejoindre une maison dans la prairie aux Sables-d’Olonne est une illusion statistique.
    • La réalité c’est que le mouvement va suivre les modes de travail … et l’emploi sera moins localisé… si le télétravail s’étend territorialement. Rappelons que pour les résidents de l’IDF,  l’emploi en région parisienne représente 1/3 des créations d’emplois en France sur les dix dernières années. 
    • Certes certaines boîtes comme Facebook, sans trop de surprise et PSA avec plus de surprise parlent de job non géolocalisé pour le premier ou recours au télétravail comme option par défaut pour le deuxième.
  • On sait aussi depuis longtemps observer le triangle emploi/habitat/transport, si un des éléments de ce triangle se modifie, c’est un facteur déclencheur de prise de décision. Le temps de transport moyen en IDF est de 84 min (selon l’IAURIF), on comprend dès lors le goût initial pour le télétravail qui fait économiser tout ce temps
  • Le reste c’est de la littérature ou pire une opinion. (ce que le sociologue Bruno Marzloff, président de la Fabrique des Mobilités) appelle le trop de). Le critère le plus déstabilisant et le mieux étudié étant bien entendu celui du prix du logement qui reste un frein au maintien des jeunes actifs en IdF. (Sur une décennie à Paris le prix de vente moyen a augmenté 3,6 fois )

 

B. Des besoins vitaux qui ne sont plus satisfaits ?!

  • Pour comprendre comment la ville va se réinventer, il faut vraiment regarder les 12 besoins vitaux et comment ceux-ci étaient satisfaits hier et le sont aujourd’hui. La dégringolade de l’un d’entre eux (la santé) ne suffit pas à ruiner le projet urbain. 
    • La ville a bien d’autres ressources qui, en temps normal, offrent une attractivité sans égale. De la ville-monde comme Paris qui à l’égal de New-York ou Londres trouve sa place aux côtés des agglomérations plus petites et qui tendent au parfait équilibre en termes de bien-être : Lisbonne, Zurich, Vienne, Nantes ou Kyoto (lire l’excellente revue Monocle qui chaque année réalise un classement des villes moyennes offrant des critères qui rivalisent avec ceux des villes monde)

 

C. Le bureau était devenu obsolète depuis 10 ans … et personne ne nous l’avait dit !

  • Là on est dans le cœur de ce qui fait l’originalité d’InnoCherche, la transversalité, la vulgarisation avec le sens de la formule

    • Ce trend raisonne assez bien avec ce que l’on observe sur le marché des bureaux depuis de nombreuses années en IdF. 
      • Si la consommation de bureaux n’a cessé de progresser depuis 1980, c’était avant tout pour accompagner la tertiarisation de notre économie. 
      • Dans le même temps, les entreprises sont passées par des plans d’optimisation de leur surface (à 85% locatives en IDF alors qu’en région on est plus facilement propriétaire, au moyen d’une SCI qui loue ses murs à l’entreprise du fondateur).
      • La dernière optimisation était, avant la crise sanitaire, de réduire au maximum les bureaux attribués, au sein d’espaces ouverts tout en multipliant les parties communes pour faciliter les échanges.
      • Chaque année le parc progresse ainsi de 5% en moyenne, tout en se rénovant (en moyenne tous les 8 ans). Ce qui explique que la demande placée (le nombre de transactions qui se font chaque année) progressait. 
      • En cette année 2020 de crise, le nombre de signatures de m² loués va baisser de 50%. Bien sûr,  ce phénomène va se rééquilibrer dans le temps, ne serait-ce que parce que les entreprises grandissent et ont des besoins réguliers en moyenne avec un déménagement tous les 8 ans. C’est en qq. sorte la démographie des entreprises. Mais ce qui n’avait pas été prévu, c’est l’effet télétravail. (En termes d’infrastructure, les bureaux c’est 54M de m² en région parisienne à l’égal de Londres ou NYC contre 6,6 M en métropole lyonnaise). 
      • Le télétravail va faire exploser ce schéma, les investisseurs vont se détourner en partie de ces actifs qui avaient jusqu’à maintenant leur faveur. Attention les besoins existeront toujours, mais sous des formes différentes. En tout cas, disons le tout net, l’empreinte immobilière des entreprises va diminuer fortement, une perspective d’économies bienvenue (13.700€/an par poste,en France prix moyen du poste de travail chargé, avec Facility management selon les chiffres de l’ARSEG).
    • Historiquement le télétravail est moins développé en France, fin 2019  moins de 5% des salariés y recouraient au moins une fois par semaine comme dans d’autres pays où le management passe par un contrôle par la présence. 
    • Les pays anglo-saxons ont une autre approche, autonomie et confiance sont au cœur de la relation managériale et le télétravail en Angleterre par exemple est deux fois plus élevé à presque 10%. (Une loi de 2002 a autorisé les parents à travailler en remote, cette loi a été étendue en 2014 à tous les travailleurs y compris les administrations, selon IES Institute for Employment studies). Les britanniques disent d’ailleurs Working from Home (WFH) et non Télétravail, ou teleworking, tout un état d’esprit!
    • Le Think Tank Formation perpétuelle insiste sur les changements technologiques qui ont permis depuis 30 ans de tout faire à distance … sauf, améliorer ce “ second lieu de vie”. De plus, la dégradation de ce second lieu de vie avec des open space rendent l’idée même de s’y déplacer désagréable …. à l’exception de la plupart des fonctions créatives qui elles recherchent cette proximité forte.
      • Aux USA et en Angleterre, on parle désormais de Zoom Town avec leurs 1/3 des salariés (cols blancs) en télétravail. 

D. Les raisons de croire dans la ville : une capacité extraordinaire à se réinventer

  • La ville ne doit pas nous désespérer. Il faut simplement se rappeler son énorme capacité à se réinventer au fil des ans. De plus, le point de départ des métropoles françaises est bon. ( selon le baromètre Arthur Loyd de l’attractivité dans son édition 2020, 84% des emplois sont créés dans les 20 premières villes; 33% en IdF seul). 
  • C’est d’ailleurs pour mener cette veille innovation que ce Think Tank Smartcity existe et qu’il vient de publier ses trends et lance son trophée innovation pour que les Start Up puissent illustrer ces trends en pitchant leur offre dans le domaine de la Smart City
  • L’illustration sur l’histoire des transports  à Paris est frappante, mais nous pourrions en dire tout autant sur la capacité de réversibilité de l’immeuble Haussmannien. La ville, ce  n’est pas que des bureaux c’est même plutôt des logements (presque 7 fois plus), des commerces, de la logistique, des espaces publics, beaucoup d’Établissements recevant du public, culturels, de lieux de soins aussi. En termes d’infrastructure c’est solide et cela traverse les époques et les innovations. En un mot la ville sait très bien se reconstruire sur elle-même une idée chère aux urbanistes (et…au pavillon de l’Arsenal, épicentre de la vie intellectuelle architecturale parisienne) 

Rappel ODG: selon l’APUR la surface bâtie de Paris intra-muros en 2015 était de 148M de m², dont 95M de logements, 17M de bureaux  et 5M de commerces.

 

E. Des ressources nouvelles qui sont mises en œuvre ou testées 

  • La ville n’attend pas pour se réinventer et sa gouvernance non plus.
    • La renaturation est dans tous les agendas publics et incluse dans tous les concours urbains, où que ce soit. Les aménageurs jouent donc un rôle moteur, l’industrie quant à elle, suit, les promoteurs en particulier, n’innovent que sous la contrainte. 
    • À nouveau, revenons à Paris, si le trafic diminue chaque année intra muros, il est reporté en périphérie et donc, on ne résout pas grand chose. La gouvernance du territoire trouve une limite institutionnelle sur laquelle nous poserons aujourd’hui un mouchoir pudique. 
    • Les nouvelles mobilités progressent, le vélo s’affirme timidement et aux beaux jours Vélib annonce 400.000 abonnés (selon l’observatoire des mobilités, open data).
    • Plus important les vulnérabilités du bâti sont bien identifiées, on sait éviter un îlot de chaleur, on sait végétaliser de façon concentrée (un parc) ou partie (des allées), on sait aussi adapter un plan, une forme morphologique des immeubles entre eux pour permettre une ventilation naturelle. On sait aussi de-imperméabiliser (voir recommandations du CEREMA).
    • La construction bioclimatique est connue de longue date car tant de bon sens ne s’oublie pas. (Orientation, isolation, rafraîchissement passif…) etc. La ville a du travail pour les années à venir avec les 2 ou 4 degrés supplémentaires attendus, mais rassurez-vous on sera encore loin des températures constatées aux Émirats par exemple où la ville … ne cesse de croître.
  • La question de la décarbonatation est autrement plus difficile. 
    • Les GES (Gaz à effet de serre) sont issus, en majorité, des villes et du bâti, d’où les efforts importants en faveur de la rénovation des bâtiments qui se succèdent en Europe depuis 2000.  ( la nouvelle norme pour l’habitat RE2020 succède à la RT 2012 en France).
    •  C’est un sujet global, il concerne la conception, la fabrication, les énergies nécessaires à la fabrication et aux transports ainsi qu’à l’assemblage. Mais encore, la récupération et le réemploi des matériaux. Le tout avec une énergie décarbonée.
    • L’hydrogène vert (voir papier InnoCherche dans la Newsletter) arrive. Beaucoup de Milliards seront investis dans les années à venir autour de cette  technologie propre. En attendant, il faut profiter de “la décennie de la dernière chance pour la planète” pour passer à l’hydrogène. ( Aujourd’hui le mix énergétique Européen reste à 80% carboné – voir travaux de Carbone 4
  • On peut aussi penser à un certain “Retour vers l’économie circulaire” comme l’étudie cet autre Think Tank InnoCherche
    • Comme le résume cette petite fresque, sur deux siècles, depuis le début de l’ère industrielle nous sommes passés d’une économie 100 % linéaire, qui cherchait des débouchés aux machines et processus motorisés,  puis on a commencé à envoyer les produits de plus en plus loin à travers le monde. Enfin au début du 20e siècle on a déplacé les usines et les ateliers en dehors des villes jusqu’ à l’autre bout du monde. comme aujourd’hui.

    • Les scandales successifs, tant de communication que de responsabilité juridique pour les industriels ayant produit des vêtements dans des taudis qui ensuite se sont écroulés comme au Bangladesh, ont laissé des traces.  La crise actuelle nous a alerté sur la  fragilité de la supply chain pour un pays comme la France qui n’est capable de prendre sa santé en main – milite en effet pour un retour vers l’économie circulaire que l’on contrôle mieux et où l’on ressent la conséquence de ses actes.
    • Se retourner ne se fera pas avec les technologies d’hier mais avec toutes les technologies de demain qui sont propres et peuvent amener des ateliers au plus près du consommateur.  Voilà encore des arguments pour que la ville se réinvente dans une économie circulaire.

 

 Alors en conclusion, 

  • Oui si demain il y a moins de familles entassées dans des petits appartements dans les grandes villes avec des enfants devant jouer dans un petit square et dans un bac à sable et que ces familles trouvent une façon de vivre mieux, loin des grandes villes, tout en gardant un travail à distance, ce sera un excellent développement.
  • Oui ce trend permettra à la ville de limiter son mouvement pendulaire obligeant à 2 trajets métro-boulot exténuants.
  • Oui on pourra réinventer une grande ville notamment à Paris en remettant du résidentiel dans ces beaux immeubles haussmanniens,  là où les bureaux auront diminué de taille.
  • L’histoire nous montre que les parisiens – quand ils le veulent – peuvent déclencher des transformations radicales en moins de 10 ans comme ici le passage du Cheval à l’automobile.