GameStop, Occupy WS et les plans de relance 

 Suite du premier article. Zucked et Robinhood

Les banquiers considèrent qu’il y a une injustice énorme entre les banques classiques et les hedge funds. Il y a une perception qu ‘ils sont peu régulés alors que les banques traditionnelles le sont énormément. Et à chaque crise, on vient réguler plus encore les banques traditionnelles alors que les hedge funds contribuent finalement beaucoup plus au risque systémique.

Au-delà de la réglementation individuel de chaque catégorie d’acteurs, des hedge funds, comme Citadel qui est derrière Robinhood, ont créé par leur filiale des conflits d’intérêts majeurs puisqu’ils sont acteurs de deux côtés à la fois. D’abord comme ce que l’on appelle des « teneurs de marché » : les personnes qui prennent les petites transactions et qui garantissent leur exécution en prenant leurs marges; mais ils sont aussi du côté Hedge funds, où ils ont toute la visibilité sur les transactions à venir – et comme les transactions se jouent en des dixièmes de secondes, ils peuvent profiter de cette information privilégiée sur les transactions à venir, pour spéculer pour leur propre compte.

C’est pour cela que Citadel a initialement lancé et financé Robinhood, un Broker gratuit. Citadel, qui n’est pas une entreprise philanthropique, se rattrape en touchant un spread sur la transaction … mais aussi et surtout en ayant toute l’information et en pouvant spéculer dessus.

Revenant un peu en arrière: vous vous souvenez du mouvement Occupy Wall Street de 2011 où des militants avaient occupé Union Square pendant quelques semaines: cela avait gêné un peu les New Yorkais et la police mais pas du tout Wall Street qui continuait à s’enrichir. Et quelques années après, trois prix Nobel d’économie américains, moyenne d’âge 75 ans, étaient venus spécialement à Paris devant ce parterre d’économistes réunis pour les 50 ans de Dauphine pour leur dire : « prenez en main la réforme de l’économie des marchés financiers parce que nous aux USA, on ne peut pas. Wall Street est tout puissant ! ».

Aujourd’hui, d’après Wikipédia, le trading par algorithme est passé en dix ans de 70% à 90% des transactions. 

En conséquence, le clivage entre petits porteurs et système financier est frappant. Si vous n’avez pas un énorme serveur placé tout près de la bourse de New York pour jouer au « millième de  seconde » ces transactions, vous ne pouvez pas participer à jeu de façon égale dans ce marché. Les hedge funds proposent aux petits épargnants de faire cela pour eux en disant « Voyez les performances passées et on va jouer avec votre argent…on va avoir à prendre des positions short à découvert… on va faire tout ce que la loi permet (ou n’interdit pas) et vous bénéficierez de cela. Bien sûr, je prends ma grosse commission pour me verser mes gros bonus… Et s’ il y a une perte… cela sera pour vous ! ».

Citadel est le troisième hedge fund américain avec une force de frappe estimée à 15 milliards et est aussi le plus gros des brokers. Le marché des commissions sur transactions a rapporté l’année dernière 6,7 milliards et Citadel a une part de marché de 40%.

Ironiquement, les particuliers sur Robinhood qui veulent attaquer le système, donnent finalement du business à Citadel et surtout lui donnent de l’information qui va lui permettre de spéculer sur leur dos. 

Quelques sénateurs USA ont compris le phénomène et demandent absolument à l’administration Biden de réguler davantage et notamment tous ces conflits d’intérêt entre ces hedge funds et leurs filiales.

Sur les marchés, pour l’AMF ou la SEC, réguler des forums dans lesquels les gens disent qu’ils achètent telles ou telles actions est difficile. Il s’agit de particuliers qui font cela gratuitement. Ils ne sont pas payés pour leurs conseils… alors que la SEC n’arrive pas à réguler les gros acteurs. Il y a quelques années, la SEC avait enquêté du côté des professionnels qui lors de dîners en ville échangeaient des idées de cibles et la SEC n’avait pas pu prouver une manipulation du marché et n’avait pas pu mener d’action juridique contre eux. Difficile pour une administration démocrate d’aller durcir les mesures contre les particuliers, … pour sauver les hedge funds qui sont eux qui lancent la spéculation en se mettant à découvert.

 En ce moment, il n’y a pas que GameStop qui profite de ces achats massifs. AMC, l’opérateur de cinéma avec ses milles salles a monté de 178% . Bien lui en a pris, parce qu’ils ont pu ainsi émettre des obligations au fil de l’eau, tout comme American Airlines qui a augmenté de 30%.

Le régulateur est attentif parce qu’il y a le souvenir de la faillite de Hertz qui avait levé, par exemple, de la dette alors qu’il avait déjà déposé un Chapter 11, une demande de faillite… Le régulateur avait annulé toute cette levée d’argent qui était intervenue quand l’action avait rebondi.

In fine, si on prend une vision très macro, très politique des choses, on a 

  • d’un côté les Etats qui injectent, soi-disant, dans l’économie des Trillions de dollars pour éviter des chocs trop sévères en matière de chômage.
  • et de l’autre – comme vous le savez peut-être, seulement 15% ou 20% de ces sommes gigantesques qui intègrent l’économie réelle. Le reste se recycle dans la finance pour créer une bulle financière… et donc se retrouve en partie chez les Hedge funds – les Hedge funds vont utiliser cet argent pour spéculer contre des entreprises comme GameStop, AMC ou American Airlines et en accélérer la destruction Schumpeterienne avec des conséquences brutales sur le chômage parce qu’ils analysent que le Covid et le confinement ont eu un impact très fort dans ces sociétés.

Bref, en quelque sorte, cet argent va accélérer la disruption alors que l’objectif était de la ralentir pour amortir le choc social. En toute logique, si les hommes politiques ne sont pas complètement aux mains de la finance, ils devraient arriver à réagir .