Regardons plutôt les services que l’IA peut rendre à l’Homme

Chaque année, lors de notre voyage en Silicon Valley, nous cherchons à rencontrer des personnalités qui symbolisent les caractères d’ouverture et de collaboration typiques de ce lieu. C’est avec plaisir que nous y avons retrouvé Luc Julia arrivé il y a 30 ans et qui est maintenant en charge du lab d’innovation de Samsung. Il a consacré toute sa carrière à l’interface homme-machine et plus récemment à l’intelligence artificielle (AI puisqu’il faut bien l’appeler ainsi pour se faire comprendre…) mais AI est pour lui pratiquement un oxymore.  Il préfère nettement parler de “AK” pour “Augmented Knowledge” ou “savoir augmenté” car en matière d’intelligence il n’y a rien.

En effet, depuis 1950, date à laquelle cette affreux oxymore a été inventé par Alan Turing, les chercheurs ont essayé de copier les réseaux neuronaux. Dès le début il y a eu deux types d’algorithmes :

  1. des moteurs de règles simples à plat  “ If … Then …” et pas en arborescence classique “ If …. Then …. Else ….”,
  2. des Algo de type machine learning qui observent au sens large des images et qui arrivent avec l’expérience acquise à en déterminer la nature.

Ce qui a changé au cours des 10 dernières années c’est l’augmentation de la puissance de calcul et la disponibilité exponentielle de Data digitales permettant ainsi aux ordinateurs d’explorer systématiquement des immenses piles de données pour en découvrir des modèles.

Étant lui-même un geek passionné d’objets connectés, il en a installé 209 chez lui (dont uniquement 8 sont des Samsung). Et il est capable, avec beaucoup d’objets stupides, de créer des services “intelligents” de façon automatique et répétitive du type : “le vendredi soir à partir de 18h, et dès que je suis rentré à la maison, grâce à mon Fitbit je suis détecté, la lumière se tamise, le jazz est diffusé et mon petit robot arrive avec un verre de mon drink préféré servi sur un plateau”.

C’était  pour réussir à rendre “intelligents” des objets connectés entre eux qu’il a rejoint Samsung comme responsable  innovation en 2012 (après un bref passage chez Apple où Steve Jobs venait de racheter Siri pour l’intégrer au smartphone) et cela l’a occupé pendant 4  ans. En effet Samsung est le plus gros équipementier et met sur le marché chaque année plus de 30 million de produits connectables.  

Une fois cette mission accomplie, il a pris quelques mois pour écrire un livre afin de démystifier l’intelligence artificielle (sortie prévue en janvier) et il a convaincu Samsung qu’il fallait absolument ouvrir un centre de développement appliqué en France pour y regrouper les meilleurs ingénieurs sur le sujet.

Donc, pour lui, le rôle des objets connectés, que certains disent à tort doués d’intelligence artificielle, est de rendre des services pour rendre les gens heureux. A l’âge de 8 ans il détournait l’aspirateur de sa mère pour le convertir en un robot faiseur de lit !

A Paris, parmi ses futurs axes de recherche, il veut explorer les domaines où se rencontrent les maths, la physique et la biologie. A cette intersection, il pourrait éventuellement se trouver une dimension vraiment intelligente ( … et là potentiellement les craintes seraient légitime). Aujourd’hui l’ordinateur utilise de la “force brutale” pas de l’intelligence : il lui faut 100 000 photos de chats pour arriver à reconnaître un chats à 98 % par opposition à un enfant de 2 ans qui n’a besoin de deux rencontres avec l’animal pour le reconnaître à 100 %.

Donc tant qu’il n’y a pas eu de découvertes majeures entre ces trois domaines, il n’y a pas de risques que “l’intelligence” des robots nous dépasse. Les robots n’ont pas aujourd’hui d’intelligence, mais le software peut toujours démultiplier l’action de l’homme; sa bêtise ou son intelligence! La menace existe mais pour plus tard.  Le problème actuel est dû au fait que les piles de données que l’on donne au robot de machine learning sont biaisées et donc son apprentissage est faussé.

Un robot aujourd’hui est quelque chose que l’on construit et que l’on programme, qui n’a jamais d’initiative et qu’il ne fait que répéter des scénarios et des routines qu’on lui a enseigné. Luc Julia nous rappelle que ce qui a fait le succès de Siri au début c’était “artificial stupidity” : un morceau de code qu’il avait inséré permettait de dévier la conversation lorsque le programme ne comprenait plus ! un classique du genre.

Voici le genre de services que l’intelligence artificielle aujourd’hui peut offrir et commence à offrir dans nos vies :

  • Dans le domaine de la santé, l’ordinateur pourra explorer toutes les données de la science, les corrélations entre l’efficacité des médicaments et le type d’ADN du patient… pour faire une préconisation individualisée sur le traitement adapté. Le médicament sera lui-même programmé en 3D.   La Chine devrait avoir une belle avance étant donné qu’elle peut imposer à sa population le stockage de toutes les données santé y compris la signature ADN.

 

  • Dans le domaine de la mobilité, même si la voiture 100 % autonome est une chimère et qu’il y aura toujours un moment où une nouvelle situation demandera l’intervention d’un humain, on peut arriver à des changements de paradigmes profonds comme Michèle Flassaquier nous l’a décrit dans le livre blanc sur la mobilité.

 

  • Enfin dans le domaine du prototypage et nous l’avons vu chez Autodesk, l’ordinateur peut explorer sans fatigue dans un cadre défini par l’homme l’ensemble de toutes les solutions possibles qui répondent au cahier des charges. Exemple sur la photo ci dessous à droite, une chaise d’un style nouveau ultra solide et légère ou encore un cadre de vélo  sortant tout à fait de l’orthodoxie actuelle en matière de design.

Pour résumer le propos de Luc JULIA, on peut dire que les ordinateurs ne font que répliquer des process et les démultiplier. L’intelligence peut-être définie comme l’innovation et l’innovation elle-même peut être définie comme l’art chez l’homme de casser les règles.

On arrive toujours à cette même conclusion que normalement il y a une complémentarité extraordinaire entre la machine qui va effectuer de plus en plus de tâches répétitives pour rendre service à l’homme et l’homme qui lui restera le seul être intelligent capable d’innover devant la situation inconnue qu’aura rencontrée le robot ou le Augmented Knowledge pour reprendre le phrasé de Luc Julia.