Metaverse…vous voulez dire Second Life ?

En fait, Second Life au début des années 2000 était bien le précurseur du metaverse (métavers en français). L’incarnation de personnages virtuels, la représentation via des avatars faisant leurs courses dans des magasins, chez American Apparel ou achetant des ordinateurs chez Dell – ces deux marques ayant été à la pointe de l’exploitation du phénomène -, ce dédoublement de la personne à qui on fait faire ce dont on rêve s’est inscrit dans le futur que la société Linden Lab, créateur de cet environnement et détenteur des licences, avait alors imaginé. Centré sur le jeu avec une composante financière – le dollar Linden -, Second Life a grandi à partir de 2003 avant de s’essouffler mi-2007 sous les coups d’une frustration grandissante et de la crise financière des subprimes qui avançait avant de déferler sur l’Amérique en 2008.

Gartner avait déjà promu l’hyperbole magique mais les utilisateurs plafonnaient…à 90.000 environ, loin des hypothèses du cabinet. Et puis…il en manquait dans le décor : principalement la monnaie virtuelle qui n’avait pas grand rapport avec une monnaie décentralisée construite sur la blockchain. Le développement des jeux n’avait pas non plus atteint le niveau de réalisme et d’instantanéité que nous lui connaissons aujourd’hui. Cependant la filière Second Life a continué son chemin de maturité jusqu’à aujourd’hui, facilitant la décision stratégique de Mark Zuckerberg que l’on peut assimiler au grand renouveau du mot magique metaverse (en anglais 😉 !).

Un concept trop en avance sur son temps, des technologies (le cloud, les jeux en réseau, la virtualisation…) qui manquaient à l’appel…les explications tiennent un peu aux deux. Mais le facteur décisif doit être décerné au rôle prépondérant joué par la blockchain et les crypto-monnaies. De fait, blockchain et crypto ont grandi séparément du métavers, ont gagné en notoriété et en efficacité ! Leur valeur a été reconnue non seulement par des individus, mais aussi par des institutionnels et même des états qui repensent leurs fondements – leur devise/monnaie (Salvador…) – avec, enfin, des sociétés qui innovent et développent de nouvelles solutions à réelle valeur ajoutée. Comment ne pas voir derrière ce certificat et cette preuve infalsifiable gérée de manière distribuée un socle pour une partie de l’économie de demain. Que d’autres innovations puissent évoluer et grandir dans leur mouvance ne surprend pas. Les Non Fungible Token(s) ou NFT s’inscrivent dans cette même démarche d’authentification et de valorisation de biens virtuels convertibles en espèces sonnantes et trébuchantes. L’envolée des prix de l’art digital confine forcément à l’irrationnel : une dangereuse spéculation, rançon du fameux Fear of Missing Out (FOMO) affecte ce nouveau marché qui devra, à un moment ou un autre, se défaire de cette couche superficielle pour ne garder que l’essence de ce qu’il apporte : une extension du monde des biens à acheter en ce bas monde, et donc une création de valeur certaine. Très clairement, il n’y aura pas que des élus, mais les premiers et les plus investis à faire vivre et évoluer ce monde devraient savoir naviguer.

Le phénomène du jeu en ligne et ses ramifications contribue également au succès du métavers. Une nouvelle catégorie d’acteurs, séparée des GAFAM (quoique…) a profité de la technologie, de l’effet virtualisation ‘for ever’ et ‘for everything’ pour déborder de son univers traditionnel et raccrocher d’autres mondes. Celui du marchand, par exemple, dans lequel il est question d’effectuer des achats de composants ludiques – ou pas …- et/ou des échanges de biens à l’intérieur du jeu. Roblox, Activision (désormais Microsoft), Electronic Arts, Zynga (désormais Take-Two), Ubisoft s’y sont tous mis. Ils ont pour eux d’avoir été servis par les temps « modernes », confinement et télétravail obligent !  Comment tenir en pareille période sans connexion internet et sans moment de détente que seul le jeu autorise (sans oublier les ‘news’ rapportées par les réseaux sociaux). Ils bénéficient également d’un public jeune qu’ils ont su conserver, voire rendre addictif, afin d’étendre leur influence à l’extérieur du monde restreint des personnages de héros fictifs ou passés.

Enfin, tout cela n’existe que grâce ou à cause des médias sociaux. Facebook se transforme en META pour essayer de faire oublier ses turpitudes révélées dans une suite de scandales à répétition et essayer de rester dans la course auprès des jeunes qui le délaisse pour aller vers TikTok et Snapchat. Les réseaux sociaux ont accru leur place et le “temps de cerveau” de leurs membres dans des dimensions historiques ces dernières années.  Leur richesse visuelle, leur renouvellement, leur diversité, leur propension à susciter l’intérêt – et à travestir la vérité (fake…) – les ont portés au firmament de la disponibilité de l’humain connecté. Qui dit media, dit nécessairement marque ou ‘brand’ ! On le voit derrière les têtes d’affiche qui s’emparent de ce nouveau monde qui sont les grandes marques iconiques qui ont des “followers” par dizaines de millions et des marges à faire pâlir tous les autres secteurs (streetware : Nike, Supreme, Adidas ; luxe : LVMH, Kering…). Devant à tout prix rester en avance dans la course aux leaders d’influence, ces marques investissent à tour de bras par peur de rater quelque chose … quitte à la fin, en cas d’échec, à recycler tout ceci dans un nième canal de vente de leur omnicanalité.

Le métavers est bien là… mais sa forme définitive et donc son ampleur dans nos vies en termes d’usages nous est, à ce stade, inconnue : est ce que ce sera vraiment l’accès à un monde digital pour tous comme le sont aujourd’hui les GAFAM dans le Web 2 (d’où le nom de Web 3 que lui donnent certains de ses promoteurs à la recherche d’une nouvelle gouvernance) ou un espace hyper-digitalisé pour gamers en VR avides d’échanger leurs trophées en NFT pour quelques bitcoins ?

 

Pour InnoCherche – Avril 2022.