Il était une fois la banquise de l’Enseignement Supérieur

Pendant cinq années, en qualité de Directeur de Projets Digital Learning au sein de la société EDUNAO (startup spécialisée dans le déploiement de la plateforme pédagogique digitale Moodle, leader sur le marché français de l’Enseignement Supérieur), j’ai eu l’opportunité d’évangéliser le marché français (les Écoles de commerce, les Universités et les Organismes de formation) en matière de plateformes de formation à distance.

Pendant cinq années, j’ai organisé et animé notre présence dans les deux grands salons professionnels parisiens : EDUCATEC-EDUCATICE et Learning Technologies.

Pendant cinq années, à l’exception de certains de mes clients, j’ai entendu une majorité de décideurs trouver de bonnes raisons pour différer :

  • leur achat de plateforme pédagogique digitale
  • la formation de l’ensemble du personnel à l’utilisation ces plateformes
  • la création et l’animation de communautés pratiques digitales
  • l’achat de contenus pédagogiques digitaux
  • la mise en place d’une politique volontariste d’enseignement à distance

Cette situation me rappelle une fable qui est devenue un best-seller international : Our Iceberg Is Melting (Alerte sur la banquise !), publié par John Paul Kotter en septembre 2006.

Cette fable raconte les déboires de Fred le pingouin qui, par curiosité et sens de l’observation, découvre que la banquise est en train de fondre et risque de se briser.

Or la colonie de pingouins à laquelle il appartient, vit, depuis très très longtemps, sur le même iceberg et et n’a aucune raison d’en changer…

Des questions se posent alors dans la colonie :

  • pourquoi devrions accorder du crédit aux découvertes de Fred, le messager de la mauvaise nouvelle ? 
  • pourquoi faire paniquer le reste de la colonie ?
  • sont les solutions envisageables sans quitter cet eldorado ?

En qualité de Directeur de Projets Digital Learning, pour éviter ces discussions, je mets toujours en avant le dilemne de la Burning platform décrit magistralement par Daryl Conner dans son premier livre, Managing at the Speed of Change (1992) :

 

La place de la Burning Platform dans la conduite du changement

À 21h30, un soir de juillet 1988, une explosion désastreuse et un incendie se sont produits sur la plate-forme pétrolière de forage Piper Alpha dans la mer du Nord au large des côtes de l’Écosse. Cent soixante-six membres d’équipage et deux sauveteurs ont perdu la vie dans ce qui a été la pire catastrophe d’un demi-siècle d’exportations de pétrole de la mer du Nord. 

Un des soixante-trois membres survivants était Andy Mochan, le super-intendant de la plateforme.

A l’hôpital, il a raconté avoir été réveillé par l’explosion et les alarmes. Gravement blessé, il s’est échappé de ses quartiers et rejoint le bord de la plateforme. Sous lui, du pétrole avait refait surface et s’était enflammé. De l’acier tordu et d’autres débris jonchaient la surface de l’eau. En raison de la température de l’eau, il savait qu’il ne pourrait vivre qu’un maximum de vingt minutes s’il n’était pas sauvé. Malgré tout, Andy a sauté !

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait fait ce saut potentiellement fatal, il n’a pas hésité. Il a dit: «C’était soit sauter, soit frire.» Il a choisi la mort possible plutôt que la mort certaine. Andy a sauté parce qu’il sentait qu’il n’avait pas le choix – le prix de rester sur la plate-forme était trop élevé.

Ce fut un moment puissant pour Daryl Conner, consultant américain,  qui a reconnu à Andy le même type de détermination à agir que celle de nombreux dirigeants. À leur manière, ils disaient qu’ils avaient aussi peur… peur de sauter dans toutes les ambiguïtés et les dangers qui accompagnent un changement majeur. Pourtant, le prix pour ne pas le faire était tout simplement trop élevé. 

Quand les moments de vérités arrivent, les décideurs doivent prendre la meilleure décision pour survivre !

 

Une expérience digitale fondatrice lors de la grève des transports de décembre 2019

Depuis la rentrée 2019, je suis Digital Learning Manager au sein d’une École de commerce, membre de la Conférence des grandes écoles comptant 3 000 étudiants répartis sur 3 campus Paris, Nice, Yunnan (Chine) et un campus associé : Riverside (USA).

J’y ai créé le Digital Learning Center, service en charge de la Pédagogie Digitale : mon équipe de commandos digitaux et moi évangélisons, formons et accompagnons les enseignants à la pédagogie digitale sous différentes formes : 

  • animation enrichie de séance de cours
  • production de ressources pédagogiques digitales
  • préparation d’examens digitaux (oraux ou écrits)
  • création de parcours blended complets

Par ailleurs, je centralise et rationalise les achats d’outils pédagogiques digitaux.

Lors des grèves de transport du mois de décembre 2019, le Directeur Général de cette École de commerce a naturellement décidé d’inciter les enseignants, sur la base du volontariat, à animer à distance des classes virtuelles en utilisant :

  • la plateforme Microsoft Teams de classes virtuelles
  • la plateforme pédagogique Moodle (plateforme institutionnelle pour tous les dépôts de ressources pédagogiques, les évaluations officielles et les parcours digitaux riches).

Mon service a conçu, produit et a formé les enseignants volontaires à utiliser au mieux cet outil digital.

Les résultats ont été à la hauteur de la mobilisation des enseignants et des étudiants cette École de commerce.

L’utilisation de Teams a explosé au sein cette École de commerce : partis de zéro, le chiffre de 995 utilisateurs actifs a été atteint au mois de décembre 2019 et s’est stabilisé à 750 utilisateurs actifs sur le mois de janvier 2020. 

 

La mobilisation digitale totale lors du confinement de mars 2020

Le jeudi 12 mars 2020, lors de son intervention télévisée à 20h, le Président de la République a annoncé que toutes les crèches, écoles, collèges, lycées et universités de France ferment à partir du lundi 16 mars 2020 et que cette fermeture aurait une durée minimale de trois semaines.

Le lendemain matin, le Directeur Général, le Directeur des Systèmes d’information et moi même, en qualité de Responsable du Digital Learning Center, sommes réunis pour acter le lancement du Plan de Continuité d’Activité et le passage cette École de commerce classique en École de commerce à distance dès le lundi 16 mars 2020 au matin.

Mon service a travaillé tout le week-end pour préparer et organiser cette bascule.

Les résultats sont le suivants :

  • Bascule au niveau des enseignants

Mon service a formé, en moins de 72 heures, plus de 140 professeurs et salariés, pour garantir la poursuite des cours prévus.
Depuis trois semaines, nous proposons des cycles hebdomadaires d’approfondissement à la communauté globale de 280 professeurs et salariés :

    • animer une classe virtuelle de manière collaborative et participative
    • préparer et organiser des examens en ligne
  •  Bascule au niveau des étudiants

Dès le troisième jour de confinement, les étudiants de cette École de commerce ont pu poursuivre l’intégralité de leurs enseignements à distance…conformément à leur planning annuel. Par ailleurs, l’ensemble des examens prévus lors de la première semaine de confinement ont eu lieu à distance en respectant le calendrier initial. Le mercredi 18 mars, cette École de commerce  a reçu le message suivant d’un parent d’élève du Programme Grande Ecole de: « Je vous félicite pour votre réactivité et la mise en place immédiate des cours à distance dès lundi et je suppose pour toutes les promotions. (..) Bravo dans ce contexte si difficile. Sachez que c’est vraiment un exploit ce que vous avez réussi à faire du jour au lendemain. 

  •  Bascule au niveau des services pédagogiques

Le Directeur des Programmes a mis en place un pilotage des enseignements à distance afin de s’assurer de la ponctualité, de la conformité et de la qualité des cours réalisés à distance. Depuis le démarrage de l’école digitale, l’intégralité des cours planifiés ont eu lieu à l’exception de deux cours.

  •  Bascule au niveau des services administratifs

L’ensemble des services administratifs utilisent Microsoft Teams pour dialoguer, organiser des réunions et échanger des documents.

 

Conclusion

La grève des transports et l’épidémie de COVID-19 ont fait fondre la banquise et ont embrasé la plateforme de l’Enseignement Supérieur.

La crise du coronavirus a montré que les Écoles et les Université ont été contraintes de digitaliser leurs pédagogie dans l’urgence : pour certains, l’effort se compte en jours, pour d’autres, en semaines..

Des décisions ont été prises rapidement et permis de vaincre l’inertie structurelle de l’Enseignement Supérieur.

Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette crise ?

1. le principe de réalité s’impose à tous
Ignorer la réalité ne permet malheureusement pas d’échapper à la réalité

2. écouter les signaux faibles pour s’adapter, mobiliser toutes les opportunités pour expérimenter
Malgré sa courte durée, la grève des transports a été un signal faible pour expérimenter l’enseignement à distance à cette École de commerce.. Certains établissements visionnaires l’ont compris.

3. l’urgence de la crise booste la motivation à changer
L’urgence de la burning platform a boosté et continue de booster la « Motivation 3.0 » décrite par Daniel Pink dans son livre Drive (2009). :

    • le sens : les enseignants comprenne mieux que l’enseignement présentiel dans les locaux n’est plus possible sous sa forme actuelle et que d’autres formes complémentaires d’enseignement sont possibles
    • la maîtrise : la formation collective et massive de l’ensemble des enseignants a permis une accélération de la montée en compétence digitale de l’ensemble de l’établissement 
    • l’autonomie : le respect du planning initial des étudiants impose une pratique quotidienne de l’enseignement à distance. Une communauté de pratique de pédagogie digitale s’est créée autour de membres autonomes fédérateurs.

Thomas HERVOUET-KASMI
Directeur de Projets Digital Learning
Digital Learning Manager au sein d’une École de commerce
Secrétaire Général de l’Association INNOCHERCHE
Responsable et animateur du Think Tank Cybersécurité